Page:Lourié - La Philosophie de Tolstoï.djvu/74

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Dans notre jeunesse nous ne vivons pas parce que nous trouvons la vie belle ; nous trouvons la vie belle parce que nous vivons, parce qu’une force intérieure nous empêche d’analyser la vie, parce qu’elle nous pousse à vivre, parce que la force brutale, la force aveugle, inconsciente qui nous domine est supérieure à la subtilité métaphysique, au raisonnement superficiel de notre cerveau. Arrivés à l’âge où notre force intérieure s’affaiblit, nous comprenons l’absurdité, le vide de notre passé, nous comprenons que ce n’est pas notre raison qui guidait notre vie, mais une force aveugle. Nous trouvons le passé vide de sens, nous n’avons plus d’énergie pour le présent, nous ne voyons devant nous que le vide et le non-sens.

Alors, le à quoi bon s’éveille. Rares sont ceux qui, comprenant ou plutôt devinant qu’ils ne peuvent plus vivre, y renoncent volontairement. La majorité continue à vivre et puisqu’ils ne possèdent plus le sens organique de la vie, ils le cherchent dans les investigations abstraites, dans le raisonnement, dans la foi, etc.

On peut les diviser en deux catégories : ceux qui, tout en comprenant la vanité, le mensonge, le vide de leur passé, sont assez petits, assez faux et mesquins pour ne pas le divulguer ; ils ont l’air d’avoir trouvé, d’avoir connu dans leur passé le sens de la vie. Les autres, comprenant le mensonge de leur passé, ont assez de force et de franchise morale pour l’avouer. Les premiers, en montrant aux nouvelles générations la vie sous un jour faux, faisant des promesses insensées, absurdes, leur font un mal criminel, tandis que le bien de la franchise des autres est immense,