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LUCAIN.


grands débris de nos remparts couvrent au loin la terre, si les maisons n’ont plus de maître qui les défende, si l’on ne voit errer que de rares habitans dans les cités antiques, si l’Hespérie, depuis tant d’années inculte, se hérisse de sauvages bruyères, si les bras manquent aux champs qui les réclament ; ce n’est pas toi, fier Pyrrhus, ni toi, soldat de Carthage, qui es l’auteur de tous ces désastres : le fer de l’étranger n’a jamais pu fouiller si avant nos entrailles : ce sont là des blessures profondes de la main de nos frères.

Si pourtant les destins n’ont su préparer autrement l’arrivée de Néron, s’il faut payer cher les royautés éternelles de l’Olympe, si le ciel ne put obéir à son maitre qu’après la ruine des formidables géans, non, dieux immortels, nous n’avons plus à nous plaindre : le crime et l’impiété nous plaisent, si largement compensés ! Que Pharsale emplisse de morts ses champs maudits ; que les mânes puniques soient saturées de sang romain ; que les dernières victimes s’entassent sous les murs funestes de Munda[1] ; à ces fatales horreurs, ajoute, César[2], Pérouse affamée, Mutine[3] aux abois, et nos flottes abîmées aux rochers de Leucade[4], et la guerre des esclaves sous le foyer brûlant de l’Etna. Rome doit encore beaucoup aux guerres civiles, puisque c’est pour toi que cela fut fait. Quand finira ton séjour ici-bas, César, tu monteras plein d’années vers l’Olympe, et les palais du ciel, que tu préfères, tressailleront d’allégresse à ta venue. Soit que tu veuilles tenir le sceptre, ou que, montant sur le char rayonnant de Phébus, tu te plaises à promener ses errantes clartés sur la terre qui ne craindra pas ce nouveau soleil, tous les dieux te céderont leur place, et la nature te laissera choisir dans le ciel le trône d’où tu voudras gouverner le monde. Tu n’établiras ta demeure ni vers l’étoile du nord, ni vers le pôle contraire que le Sirius brûle de ses feux, d’où ton astre n’inclinerait sur Rome que des regards obliques. Si tu pèses sur un point de l’immense univers, l’axe gémira sous le fardeau ; tiens au milieu du ciel l’équilibre du monde ; que cette région de l’Olympe soit pure de tout nuage ; qu’aucun voile ne nous dérobe César. Alors, le genre humain déposera ses armes pour ne plus songer qu’au bonheur ; l’amour sera le lien commun des nations, et la paix, envoyée aux peuples, viendra fermer les portes de fer du belliqueux Janus.

Mais tu es déjà ma divinité. Descends dans le cœur du poëte, et je n’invoquerai pas le dieu dont les oracles ébranlent les grottes cyrrhæennes[5], et je n’arracherai pas Bacchus à Nisa[6]. C’est assez de toi, César, pour inspirer les chants de la muse romaine.

Je vais dévoiler les causes de ces grands désastres. Une carrière immense s’ouvre devant moi. Qui lance aux combats un peuple en furie,

  1. Ville d’Espagne où furent vaincus les fils de Pompée.
  2. Néron.
  3. Modène.
  4. Près d’Actium.
  5. Apollon. Cyrrha, ville de Phocide, près de Delphes.
  6. Ville consacrée à Bacchus. Il y avait deux villes de ce nom, une dans l’Inde, une sur l’Hélicon.