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LA PHARSALE.


et chasse la paix de la terre ? Tel est le fatal entraînement du destin ! rien d’élevé ne reste longtemps debout ; le poids des grandes choses rend leur chute plus lourde, et Rome ne se soutient plus. Ainsi, quand se brisera le lien du monde ; quand, l’heure suprême venant clore tant de siècles, tout s’en retournera vers l’antique chaos, on verra se heurter les étoiles en guerre, et le feu des astres lutter contre les eaux : la terre, rejetant la mer, lui refusera la ceinture de ses rivages : Phébé marchera contre son frère ; dédaignant la route oblique où s’agitent ses coursiers, elle réclamera le trône du jour : et, dans cette discorde de toute la nature, cessera l’harmonie des mondes dispersés. Les grandeurs s’écroulent sur elles-mêmes ; à ce terme les dieux interrompent le cours de nus prospérités Contre le souverain de la terre et des mers, la fortune jalouse ne charge aucun peuple de ses vengeances : la cause de tes disgrâces, c’est toi, Rome, devenue la ville commune de trois maîtres ; c’est ce partage fatal et inouï de la royauté en proie. Tyrans mal d’accord et que trop d’ambition aveugle, que sert de joindre vos forces pour embrasser le monde ? Tant que la terre portera l’Océan, et que l’air portera la terre ; tant que Phébus fatiguera son char à rouler dans l’espace ; tant que la nuit suivra le jour à travers les mêmes zones, le partage de l’empire ne fera que des traîtres, et toute puissance s’indignera d’une rivale. N’interrogeons pas les histoires étrangères, n’allons pas chercher bien loin l’exemple de cette fatalité ; le sang d’un frère a rougi nos premiers murs, l’ourlant l’univers n’était pas le prix d’un tel crime : un étroit asile engagea les deux glaives.

On vit durer quelque temps la concorde de l’anarchie, et la paix régner sans le vouloir des chefs. Crassus, entre les deux rivaux, retardait seul la guerre prochaine ; comme l’isthme resserré qui fend les vagues, divise deux océans et s’oppose à la lutte des flots. Que la terre se retire, et la mer Égée va briser la mer d’Ionie : ainsi, lorsque la fin malheureuse deCrassus, qui sépai’aii les glaives cruels, ensanglanta les villes d’Assyrie de funérailles latines, à la nouvelle de ces désastres, Rome déchaîna ses fureurs. Vous ne savez pas, Arsacides[1], tout ce que vous avez fait dans cette journée : vainqueurs, vous nous avez donné la guerre civile. Le fer partage la royauté ; et cette fortuné romaine, qui lient sous sa main puissante et les mers, et les terres, et l’univers entier, n’a pu contenir deux hommes.

Ô toi, gage de leur alliance, Julie[2], surprise avant le temps par les Sœurs cruelles, tu vas porter à Pluton les torches funèbres de tes noces maudites par le ciel ! Que, si les destins t’avaient donné plus de jours sur la terre, toi seule pouvais retenir d’un bras ton époux courroucé, de l’autre ton père, et joindre leurs mains désarmées, comme les Sabines unirent

  1. Parthes. Arsace fut leur premier roi.
  2. Fille de César, mariée à Pompée.