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LA PHARSALE.

crées. Si les dieux irrités s’armaient les uns contre les autres, ou si les géants de la terre essayaient encore l’escalade du ciel, la piété des humains n’oserait pourtant secourir Jupiter, ni par des armes, ni par des vœux ; et les mortels, ignorant le sort des dieux, n’apprendraient que par la foudre si le maître du tonnerre règne encore seul dans l’Olympe. Ensuite, vous le voyez, des peuples sans nombre accourent de toutes parts ; le monde n’a ni une telle indifférence, ni une telle horreur pour la contagion du crime, qu’il soit besoin de contraindre des glaives à la guerre civile ! Ah ! si tous pensaient comme nous et n’acceptaient pas de partager vos destins, si l’étranger refusait de s’entremettre dans vos querelles ! Quel fils, en face de son père, ne sentirait retomber son bras ? Quel frère pourrait lancer le javelot contre son frère ? La guerre est achevée, si vous n’armez pas ceux qui peuvent la faire sans crime. Pour nous, nous te faisons cette seule prière : laisse loin de nos murs ces aigles terribles, ces drapeaux funestes ; viens avec confiance dans notre ville, et permets que nos portes, en s’ouvrant pour César, se ferment pour la guerre. Qu’il reste sur la terre un asile inviolable au sacrilége, où, s’il plaît au destin de sauver la ville éternelle, Pompée et toi. César, vous veniez parler de paix, sans crainte et sans armes ! D’ailleurs, quand l’Ibérie t’appelle à de si grands combats, pourquoi détourner la marche rapide ? Nous ne sommes pas un poids si lourd dans la balance des destinées. Le malheur constant de nos armes nous a chassés de notre première patrie, et depuis que Phocée, livrée aux flammes, est venue ici relever ses murs, jetés sur un rivage lointain, protégés par de faibles remparts, nous n’avons d’autre gloire que noire fidélité. Mais si lu viens assiéger nos murs et forcer nos portes, nous sommes prêts à recevoir sur nos toits et la flamme et les traits : si les sources détournées nous refusent leurs ondes bienfaisantes, nous fouillerons la terre, et notre langue avide en léchera les glèbes ; si nous sommes privés des dons que prodigue Cérès, nos dents souillées déchireront des aliments immondes qu’on ne peut voir et toucher sans horreur. Ce peuple ne craint pas de souffrir « pour la liberté tout ce qu’endura Sagonie assiégée par le héros de Carthage. Arrachés du sein de leurs mères et pressant vainement « leurs mamelles desséchées par la faim, les enfants seront lancés au milieu des flammes ; l’épouse demandera la mort à son époux chéri, les frères égorgeront les frères, et forcés à la guerre civile, voilà celle qu’ils choisiront. »

Ainsi parle la jeunesse phocéenne. César, dont le visage ému trahissait déjà la colère, laisse enfin éclater en ces mots tout son ressentiment :

« Ces Grecs sont bien vains de nous croire si pressés : bien que nous le soyons, en effet, d’arriver en Hespérie, j’ai le temps de dé-