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Constantinople

rive me conduisit vers la maison. Quand il fut à portée, par trois fois il frappa dans ses mains. C’est pour avertir qu’une visite est là.

Ces trois claquements de mains tant de fois entendus en Turquie et en Égypte, leur rythme particulier m’est resté dans l’oreille. Parfois je les écoute encore en rêve, Ils font ressurgir avec l’impériosité d’un parfum certaines heures orientales dont mon souvenir n’a jamais pu ni voulu se délivrer.

Aux premiers pas dans cette maison je fus environnée de servantes, des jeunes et des vieilles, habillées encore selon le passé, lesquelles, l’une après l’autre, commencèrent par baiser le bas de ma robe. Mon chapeau, mon manteau, mon écharpe disparurent en une seconde. Je vis avec quel soin rapide toutes les mains enveloppaient puis épinglaient ces effets dans un grand linge brodé, les rangeaient dans une armoire du vestibule. Et je fis mon entrée dans le salon.

Je ne m’étais pas attendue à des turqueries, bien sûr. Mais, ce salon, c’était tout bonnement celui qu’on eût trouvé chez nous dans n’importe quel milieu de quelque élégance.

La mère et les deux filles, en même temps que les parentes, tout en s’avançant à ma rencontre, me saluèrent ce gracieux geste de la main droite qui, pendant que le buste s’incline, descend vers la terre, se pose sur le cœur, puis sur les lèvres, puis s’arrête un instant sur le front. Elles étaient toutes en toilettes de bon goût, je dirai parisiennes. Parisienne aussi leur conversation vive, avertie. Elles venaient de lire le roman le plus nouveau, l’article à sensation, étaient au courant du mouvement théâtral, de la mode, de la vogue. Nos revues et magazines encombraient cette table. Pages ouvertes, je pouvais voir, sur le pupitre du piano, l’Arabesque de Claude Debussy.

Qu’il était loin le temps où Sarah Bernhardt (elle-même me l’avait raconté), récitant la mort de Phèdre pour le harem d’Abdul-Hamid, avait vu, stupéfaite, les