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El Arab

femmes se pâmer ouvertement de rire en la regardant et l’écoutant !

Je n’étais pas en Turquie, j’étais chez nous.

… Sauf l’entrée des servantes l’une derrière l’autre, et qui venaient s’asseoir sur des tabourets bas disposés pour elles au centre du demi-cercle de fauteuils où nous avions pris place. Car, tout en conservant les distances voulues, elles avaient droit à la conversation du salon, charmante coutume de l’Orient à la fois égalitaire et hiérarchique.

Ne connaissant pas autre chose que le turc, elles ne pouvaient, ce matin, que regarder de tous leurs yeux souriants l’étrangère qui leur arrivait de si loin. Une de ces dames leur adressa la parole, sans doute pour les mettre en quelques mots au courant de ce qui se disait en français. Et je fus une fois de plus subjuguée par cette langue turque, un gazouillis d’oiseaux quand ce sont les femmes qui la parlent.

Après le déjeuner seulement (salle à manger, service et repas tranquillement européens), je commençai le questionnaire pour lequel je venais de Paris jusqu’en Turquie.

Depuis mon arrivée à Constantinople il m’avait été raconté dans les milieux chrétiens que celles de ces dames dont les maris toléraient de les voir les accompagner à l’étranger trépignaient d’impatience sur le paquebot, en attente fébrile de l’instant où seraient franchies les eaux turques. Car elles avaient toutes dans leur cabine le chapeau dernier chic qu’elles allaient se mettre sur la tête à la place du voile austère qui leur cachait les cheveux, en même temps que disparaîtrait le voile de visage.

Plaisir de petites filles qui se déguisent ? Simple coquetterie féminine ? Ou si, plus gravement, ce chapeau représentait le symbole d’un affranchissement complet souhaité secrètement par elles ?

— C’est si amusant !… répondirent-elles à mon interrogation. Et puis ça change un peu de ce qu’on porte tous les jours. Mais, chez nous, nous ne voudrions pas de ça. Nous sommes musulmanes avant tout.