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Le Caire

pays, et depuis les temps les plus reculés, n’a-t-il pas montré qu’il se refusait à digérer l’étranger ? Plus envahi, plus possédé qu’aucun autre, il a vomi tour à tour les Hyksôs, les Perses, les Macédoniens, les Grecs, les Romains, les Arabes, les Turcs, les Français, les Anglais (ou presque), et chaque fois s’est retrouvé lui-même, gardé qui sait ?… par ses vieux dieux de pierre dont tant sont toujours debout sur les ruines successives de l’Histoire.

S’il n’en était pas ainsi, les fresques-miniatures du tombeau d’un Aménophis, dans la Vallée des Rois, ne seraient pas le portrait à peu près exact de la vie populaire actuelle de l’Égypte. (Je parle de 1910-1911, car, n’ayant pas revu ce pays depuis, j’ignore s’il n’a pas subi le sort de la Turquie.)

Quand je dis qu’il n’a pas changé, ce pays, c’est justement à cette vie populaire que je pense, et certes pas aux grands initiés qui bâtirent les Pyramides, les temples, et connurent des mystères que, sans le savoir, avec nos petits moyens dépourvus du souffle des dieux, nous cherchons peut-être à retrouver de nos jours. Je ne ressuscite rien, sinon l’existence courante, l’humeur, les qualités et les défauts de la race dans ce qu’elle a de plus moyen, de plus quotidien — de plus populaire, je le répète.

En un mot ce n’est pas de l’Égypte des hiéroglyphes qu’il s’agit, mais de celle qui ne savait et continue à ne savoir pas lire.

Chez celle-là les visages et la construction des corps étant identiques à son vertigineux passé, rien de plus normal que de croire que le tempérament de pareils indéracinables soit également resté ce qu’il était à toutes les époques, c’est-à-dire paresseux, insouciant, et, surtout, gai. Car, l’Islam gai, c’est en Égypte qu’il faut aller le chercher.

Gai ? Bien plus encore : spirituel. Eux-mêmes se caractérisent par le mot « damm khafife » (sang léger) en oppo-