Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
211
Le Caire

mais, respectueusement, baisait le bout de mes souliers d’or, et, comme je l’ai dit dans mes Mémoires : « Jurez-moi, me répétait-il, que vous serez toujours aussi belle ! »

Hélas !

Une autre manifestation en l’honneur de la Noël islamique devait nous absorber peu après, autrement importante que cette soirée mondaine : les dix-sept nuits du Mouled chez le Saïed el Bakri, chef de la noblesse musulmane.

Comment avions-nous connu ce considérable personnage ? Je ne sais plus, mais peu importe. C’est une des plus singulières figures que j’aie vues en Islam. Il était tout jeune. Une barbe presque blonde et des yeux glauques révélaient la mère circassienne. Ses habits extrêmement raffinés ne comportaient rien d’européen, pas même la chaussure. Tête dans les mousselines, manteaux de nuances pâles, aucun signe dans son aspect qui rappelât l’Égypte. Son regard inquiet et sa blancheur maladive, ses tics nerveux et les mots magiques qu’il ne cessait de prononcer à mi-voix en pleine conversation normale donnaient l’impression que ce jeune homme était, en quelque sorte, ensorcelé.

Le docteur Keating, Irlandais, médecin chef de l’hôpital du Caire, nous avait mis au courant du noir drame de harem survenu dans la famille. L’un des prédécesseurs de ce Saïed-ci, son oncle, fut un soir invité chez sa belle-sœur et ses filles. Il avait le droit de les voir à visage découvert, étant vieux, et, de plus, de leur parenté. L’aimable gynécée avait pour lui préparé les gâteries qu’il aimait le mieux. Les servantes, jeunes et âgées, s’empressaient en nombreuse troupe autour de sa barbe blanche. Il souriait, heureux de cette réunion comme chaque fois qu’elle se renouvelait ; la belle-sœur et ses filles répondaient à ce bon sourire du vieillard. Juste à ce moment toutes les femmes, d’un mouvement unanime, bondirent sur lui, le renversèrent, lui immobili-