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El Arab

sèrent bras et jambes ; et, son turban arraché, dix mains pesant à la fois sur son crâne, elles lui enfoncèrent la tête puis la maintinrent le temps qu’il fallait dans le seau d’eau préparé d’avance à l’écart.

… On retrouva son corps à l’aube dans un terrain vague. Son turban bien sec lui avait été soigneusement remis. Aucune trace d’eau sur ses vêtements. Le médecin arabe conclut à une rupture de la veine du cœur ; et tout eût été dit, l’ambition de la belle-sœur, qui voulait la place pour son fils (ou son mari, je ne sais plus) eût été satisfaite sans une ombre de scandale, si, par la langue indiscrète d’une des servantes, la justice anglaise n’eût eu vent de quelque mystère.

L’autopsie fut ordonnée. Le docteur Keating, auquel elle fut confiée, déclara que le mort avait été noyé. « Comment !… protestait le harem soupçonné. Il n’avait pas un fil de mouillé sur lui ! Son cadavre était aussi loin que possible du Nil ! »

Une ou deux servantes, cuisinées à huis-clos, avouèrent. Une troisième raconta l’assassinat dans tous ses détails. Mais le secret des aveux resta bien gardé. Pour des raisons que j’ignore, politiques sans doute, l’affaire fut étouffée comme le bonhomme dans son seau d’eau.


Peu de temps avant la période du Mouled, et connaissant cette sombre histoire, j’étais priée d’aller visiter le harem fatal. Je n’y trouvai que trois femmes : la belle-sœur instigatrice de l’assassinat, et deux autres qui y avaient mis la main. Je vis des créatures avachies, teint blafard, joues molles, yeux verdâtres ; de ces femmes sans couleur aux cheveux déteints que les gens du peuple, chez nous, dépeindraient par : « On dirait du veau, » Et tellement insignifiantes, en outre, qu’on ne parvenait, en les regardant, à aucune espèce de frisson.


L’actuel Saïed, qui, par raccroc, devait peut-être sa puissante et magnifique situation à ce crime familial,