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Le Caire

tants plus tôt, y ramasser des braises enflammées et les dévorer avec une rage de bêtes affamées.

Des camarades restés de sang-froid s’approchent de ces possédés pour les apaiser, arrêter leur folie. Ils ont ces gestes comme maternels qu’on voit si souvent aux hommes de l’Islam. On éprouve un soulagement à les regarder assister ainsi leurs frères devenus fous. Les daraboukkas résonnent toujours, hystérisantes. Les mains douces qui soignaient deviennent saccadées, les têtes qui se penchaient, raisonnables, ont des sursauts convulsifs. Trois secondes ne se sont pas écoulées, l’infirmier, à son tour écume, se roule par terre, se précipite sur le brasier, mange du feu.

— Racontez-moi ! nous disait la saïed pendant que je me sentais pâlir de ce que je voyais. Comment est-ce, un thé, chez une dame — Bah ! Dah ! — à Paris ? Les monsieurs entrent — bah ! — et ils… ils baisent la main de madame ?…

J’avais été surprise, pendant ces nuits fanatisées, de voir, quand leur tour était passé, comment les plus déments des sectes successives venues nous montrer leurs danses du Prince Igor et leurs extravagances religieuses, se relevaient en pleine convulsion et reprenaient leur rang dans le défilé, sourire aux lèvres, regard absolument lucide. Comme chez les hurleurs de Brousse, une fois la crise passée, le coup de foudre reçu, plus rien n’en restait, semblait-il, ni dans leurs nerfs, ni dans leur esprit.

Je devais m’en rendre compte encore mieux lorsqu’arriva l’époque de la ’Achoûra, solennité persane qui prenait au Caire des proportions assez vastes pour mettre sur pied toute la police anglaise.

’Achoura vient du mot dix en arabe. Et c’est parce que cette fête funèbre comporte dix jours, — dix jours de jeûne et de douleur au bout desquels éclate la frénésie à