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El Arab

laquelle je pus, grâce à J. C. Mardrus, assister jusqu’à ses extrêmes.

Triple anniversaire en une fois célébré, la ’Achoura, pour tout dire, est une manifestation hérétique. Elle semble commémorer le schisme qui, vers la fin du viie siècle, partagea l’Islam en Sunnites et en Chiites.

À cette époque un usurpateur, pour s’emparer du califat, donna l’ordre d’assassiner Hassan et Hussein, les fils d’Ali, gendre du Prophète. Hassan mourut empoisonné, Hussein percé de flèches à la bataille de Kerbéla, en Irak.

Les Persans, de génération en génération, ont si bien entretenu le souvenir des deux jeunes martyrs que, même actuellement, on les dirait inconsolables de leur mort. Aux noms de Hassan et de Hussein ils joignent le nom d’Ali leur père (auquel ils se rattachent plutôt qu’à Mohammad). Et, pendant ces dix jours ils sanglotent les trois noms, dans le même esprit de deuil qui, jadis, à date fixe, pleura le bel Adonis, et plonge maintenant dans le carême toute notre catholicité, lorsque arrive la saison de se désoler.

Or, voici comme je vis le dixième jour de la ’Achoura, — le dixième soir plutôt, car ce fut de nuit que se déploya la terrible procession.

Pour empêcher les Persans fanatisés de pénétrer dans la mosquée de Hassan et Hussein, car il serait à redouter d’y enregistrer des scènes trop sanglantes, la police anglaise, donc, est tout entière sur pied. Elle assiste, flegmatique et prête, au défilé hurlant qui parcourt les rues.

Entièrement vêtus de blanc, la tête nue, les pleureurs, au pas de course, se suivent en file indienne, avec ces trois hoquets de désespoir : « Hassan !… Hussein !… Ali !… » Leur main droite est armée d’un glaive à deux tranchants dont, sans interrompre leur course, ils se frappent en mesure le crâne. Le sang coule et descend sur leur vêture blanche. Des harems suivent, épouvantés, en larmes. Femmes et filles essaient tout en courant d’essuyer les blessures. Ces hommes ne les voient même