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Tunis

Ici je rapporterai, tels qu’ils se présentent à ma mémoire, mes plus caractéristiques souvenirs de Tunis, échelonnés sur deux ans de résidence en cette inoubliable ville.

Sur la place Halfaouïne que j’ai particulièrement aimée pour sa gaieté, son grouillement, son aspect éminemment arabe, nous passons un moment de notre après-midi dans un petit café maure. Parmi la foule des clients aux yeux peints, aux oreilles fleuries, aux vêtures nuancées, vient s’installer un sidi visiblement peu riche qui, plein de précautions, place tout près de lui ce pot à fleurs où s’épanouit un plant de jasmin. Information prise : « J’emporte toujours mon jasmin avec moi pour qu’il respire l’air et regarde l’univers. »


Autre café maure, le soir. C’est le jour du conteur. À lui seul il représente, pour les musulmans, concert, théâtre et toutes autres attractions. (Je me doute que le pickup et la T. S. F. se chargent désormais de le remplacer.)

Monté dans une sorte de chaire, un sabre de bois à la main, environné soit de rires soit d’une attention palpitante, il raconte. Et, ce qu’il raconte, ce sont les Mille et une Nuits. La version de cet humble rhapsode est sienne comme est sienne celle de J. C. Mardrus, les contes arabes, de même que jadis les épopées d’Homère, continuant, en dépit de l’imprimerie, à se transmettre en Orient par tradition parlée.

Je n’ai jamais, mieux que ce soir-là, compris ce qu’était l’œuvre de mon mari.

Nous avons aujourd’hui l’autorisation de visiter la prison — celle des indigènes s’entend.