Dans un étroit et noir couloir à odeur de cave, c’est une succession de véritables cages, fermées devant par des barreaux. Dans chacune un Arabe est accroupi.
On nous apprend que cette ménagerie humaine n’est nourrie que par les soins des familles auxquelles les prisonniers appartiennent.
Interrogés, ceux-ci ne demandent pas mieux que de nous répondre. L’un après l’autre, avec une monotonie impressionnante, ils commencent tous par la même exclamation : « Ana mazloûme ! » c’est-à-dire : « Je suis un opprimé ! »
Ce mot-là, même en dehors des prisons, les musulmans sont toujours prêts à le dire. Souvenir atavique de longues tyrannies exercées par les puissants de leur race ? Fatalisme invétéré ? Même convaincus publiquement de leurs fautes, ils préfèrent, quand arrive le châtiment, n’en référer qu’à cette fatalité, la même qui leur fait vivre si royalement le mieux, supporter sans se révolter le pire. N’est-il pas arrivé que des condamnés à la potence aient, à Tunis même, aidé de leurs propres mains ceux qui, gênés par une malfaçon quelconque dans le maniement de la corde, ne parvenaient pas à la leur mettre au cou ?
D’autre part, avoir fait de la prison ne semble représenter, du moins chez les humbles, rien du tout d’infamant. Je me souviens, alors que je pouvais déjà comprendre ce qu’il disait, avoir entendu ce jeune serviteur arabe à qui, ne l’ayant pas vu depuis longtemps, nous demandions de ses nouvelles, nous raconter d’une seule haleine, avec le plus tranquille sourire : « Je me suis marié, mon père a été malade, ma sœur est fiancée, j’ai fait trois mois de prison, on m’a promis une place chez des Roumis. »
… À la dernière cage, un mouvement de recul me vint devant la sorte de tigre à figure d’homme qui se recroquevillait sauvagement tout au fond. « Il a tué son frère… » nous murmura notre guide.