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La Syrie

M’étant trouvée assise à l’arrière, je m’agrippai de mon mieux, et notre petit voyage commença.

L’âme des naufrages, je l’ai sentie pour un instant en moi pendant ce parcours si bref mais si furieux. Les vagues arrivaient sur nous hautes comme des maisons de rapport, et ce n’était pas possible de croire que notre coquille de noix n’allait pas s’y engloutir, renversée par une telle énormité.

Pas du tout !

La coquille de noix, dessinant une immense parabole, passait bravement par-dessus ces milliers de tonnes d’eau, puis redescendait avec la même souplesse l’autre versant de la montagne liquide, pour recommencer aussitôt l’ascension. Mais quel coup dans la nuque à chaque fois !

Le plus abrutissant fut, au bout de presque vingt minutes, d’être jetés subitement, brutalement, dans cet étroit goulet qu’il avait fallu que ces deux habiles Turcs eussent visé pour permettre à notre esquif de l’aborder sans s’y mettre en pièces.

Calme subit, doux glissement sur de l’huile bleue, c’était trop comme contraste. Une fois à terre il me fallut un long moment pour retrouver où j’étais et qui j’étais.

Mon mari riait de voir ma figure. Un petit café nous avait recueillis tout de suite. Une fois restaurés et moi remise de notre pseudo-naufrage, commencèrent pour nous les plaisirs de l’escale, qui sont de ceux que je regrette le plus quand je pense à mes voyages.


La seule image qui me reste de ce rien de Palestine vu en quelques heures s’apparente à l’hallucination. Car, après avoir visité la ville, alors que nous avançons quelque peu dans le pays, voici sous le ciel sec mais tourmenté par la tempête, que surgit devant nos yeux une parfaite vision de l’Évangile.

Assis au bord de ce puits biblique, Notre Seigneur lui-même converse avec saint Jean. Tout y est, les boucles blondes sur les épaules, la barbe blonde autour des joues