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Carthage

autres, et moi, l’ignorante, je renonçais à comprendre ce qui se passait.

La musique arabe ne semble jamais ni commencer ni finir. Quelques soupirs qui devinrent insensiblement du chant sortirent enfin des lèvres de Sett Ouassîla pendant que, la tête de côté, les yeux fermés, elle venait visiblement de s’isoler avec elle-même. À ces quelques notes les invités répondirent par un « ah ! » sourd et profond exhalé dans le même ton que la voix monotone. « Ya héloua !… » murmura la princesse « (ô douceur !) » Les autres continuèrent entre haut et bas : « Allah ! Allah !… » Et, dès cet instant, la mulâtresse ne s’arrêta plus.

Mots incompréhensibles, insaisissable mélopée, j’étais d’emblée fascinée par ce chant, le plus beau de l’Islam étant égyptien ; ce chant dont, quelques années plus tard, dans les harems du Caire, je devais me griser pendant des nuits entières.

Sett Ouassîla, tout en roucoulant ses modulations en mineur, rouvrait de temps à autre ses sombres paupières de petit pharaon. Installée très près de mon fauteuil et comme à mes pieds, elle me regardait alors avec une intensité presque gênante. Encore une coutume dont je ne savais rien : les musulmans chantent toujours « dans les yeux de quelqu’un ». C’est en général l’hôte de marque qu’il s’agit d’honorer.

Cette soirée devenait pour moi quelque chose comme un rêve d’opium. Mais, tout à coup, sur de derniers gémissements qui, pour mes oreilles, ne terminaient en rien son chant, Ouassîla repoussa son luth. Repos. Dans le fond du salon, elle alla s’asseoir sur un divan, et les gamines attentives lui apportèrent à boire.

Bientôt les conversations reprirent ou plutôt ce fut Nazli qui parla. « Je vous dis la vérité ! Ana mazloûma. Je suis une opprimée. Très fâchée avec Fattoûma. Ce matin j’ai donné la gifle, et elle a pleuré. I don’t want that ! Quand je gifle, ouallah, je veux qu’on sourie. » Et puis, de nouveau, la politique régna.

Déférents, tous ces hommes étaient de l’avis de la princesse. Mais un sourire indulgent, amusé, couvait dans