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El Arab

leur regard. On la connaissait, Nazli Effendi. Ses vues étaient d’une autre époque, et si confuses ! Ces modernes Tunisiens, eux, étaient aussi capables que l’Occident de discuter serré. Leur finesse orientale, même, leur diplomatie innée dépassaient de loin les nôtres. Mais à quoi bon contrarier la vieille autoritaire ?

Sidi Bou Hageb, qui buvait avec la chanteuse au bout du salon, revint vers moi, sans se presser, et, fort tranquillement : « J’ai une commission pour vous de la part de Sett Ouassîla. Elle vous fait dire que vos yeux la font mourir. » Puis, du même pas nonchalant, il s’en retourna.

Ce ne fût qu’à l’aurore que nous reprîmes le chemin de l’hôtel. Je savais en m’endormant, gorgée d’inédit, que je venais, en quelques heures, de faire un très long voyage.

Un second dîner suivit de près celui-ci. J’y étais, cette fois, invitée sans mon mari, car c’était dans un harem traditionnel. Les fantaisies de Nazli Hanoum restaient, dans toute la Tunisie et dans tout l’Islam, une exception surprenante.

J’avais, à Tunis, fait la connaissance du saïed dans le palais duquel allait avoir lieu le festin. Bien qu’enveloppé d’une gandourah vert pistache, bien qu’autour de son tarbouche (on dit en Algérie chéchia) s’enroulât un turban brodé de fils d’or, bien qu’ayant du kohl aux yeux, il ne rêvait que de Paris, visité jadis, et souhaitait, après sa mort, dormir son éternité sous les trottoirs du boulevard des Capucines.

Je m’attendais donc à un harem encore plus modernisé que celui de Sidi Bou Hageb. Je m’étais bien trompée.

Seule étrangère au milieu d’une vingtaine de femmes en pantalons bouffants, ce me fut un soulagement et une joie de retrouver la princesse, qui, pour ainsi dire, me rapatriait au sein de cet Orient encore incompréhensible pour moi.