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Page:Lucie Delarue-Mardrus - El Arab.djvu/56

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Carthage

rage pour enfiévrer sa danse, rythme à contre-temps auquel les nerfs résistent mal.

— Je vous en prie, Mustapha pacha, dis-je à mon gros soupirant, n’ayez pas cet air de ne pas la voir, pauvre petite ! Elle se donne tant de peine pour vous charmer !

— Mais c’est que je ne la vois pas !… répond-il. Je ne vois que vous, qui êtes un ange !

— Eh bien ! Pour me faire plaisir, soyez un peu gentil pour elle !

— Alors je veux bien !… accorde-t-il.

Il jette enfin les yeux sur la danseuse, lui fait un signe. Elle interrompt sa danse aussitôt. Alors je le vois prendre sur la petite table à portée une bouteille de raki, cette liqueur effroyable qu’on ne boit qu’avec beaucoup d’eau. Il en remplit un verre jusqu’au bord, se lève, empoigne la fille à la nuque par sa longue crinière, lui renverse la tête, et, d’un seul coup, lui fait boire ce verre qui pourrait la tuer.

Je n’ai pas eu le temps, d’un geste pour arrêter ce supplice. Sans sourciller, la pauvre créature a déjà bu le verre, et se remet à danser comme si rien n’était arrivé.

— Voilà !… dit Mustapha pacha tout en se rasseyant.

Et, sans voir mon indignation :

— Vous êtes un ange ! Si j’étais le maître de ce pays, pour vous plaire je ferais démolir tout ce qui est vieux, à Tunis et dans toutes les villes, et je mettrais de l’asphalte et des tramways partout, comme dans votre Paris !