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La Kroumirie

Il faut un certain temps et l’impériosité même d’un sultan pour obtenir le silence. Inutile d’entendre tout cela. Le roi Saint-Louis a compris d’emblée l’affaire.

— Qu’on m’amène à l’instant le plus âgé de la tribu voisine !

Et quand le vieux est là, tout tremblant dans sa barbe blanche :

— Écoute, ô mon père ! Si, ce soir au coucher du soleil, la jument n’est pas revenue à sa place…

Une seconde de terreur et d’espoir, toutes les respirations arrêtées. Puis :

— Je n’en dis pas plus long !

Et, le soir, mystérieusement, la jument perdue réapparaît autour du gourbi lésé.

… Nous attendions d’être assez loin pour rire à notre aise. « Je n’en dis pas plus long », c’était cela la suprême trouvaille. Derrière cette formule menaçante, en effet, il n’y avait rien de valable, sinon la seule autorité reconnue officiellement, c’est-à-dire celle du contrôleur civil ou celle du caïd, lesquels deux ne pouvaient que se désintéresser impérialement d’une si misérable querelle.

Je terminerai mes souvenirs de cette première période kroumire par la singulière histoire de Marzoug et de sa Bédouine.

Rentrés sous une averse furieuse, nous venions, après nous être changés et séchés, d’allumer nos lampes à pétrole, et commencions tout juste à écrire. Coup dans la porte. Cette fois c’est un Arabe assez particulier, et qui n’a pas craint d’amener avec lui la pauvre femme tatouée qui le suit.

Tout de suite, aux longs cheveux qui tombent jusqu’aux épaules de cet homme, mon mari m’annonce à mi-voix : « charmeur de serpents ! »

Grands saluts muets. Après quoi, de sous le burnous trempé de pluie sort une lourde liasse de papiers ficelés