Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/179

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toujours prêts à jeter leurs arcs, leurs javelots et leurs boucliers d’osier ? C’était autre chose de soumettre les Grecs, les Béotiens, les Phocéens, les Athéniens ! Culbuter l’infanterie des Arcadiens, la cavalerie thessalienne, les Eléens habiles à lancer le javelot, les fantassins de Mantinée, les Thraces, les Illyriens, les Péoniens : voilà de grands exploits. Mais les Mèdes, les Perses, les Chaldéens, race brillante d’or et efféminée ; ne sais-tu pas qu’avant toi les dix mille conduits par Cléarque les ont battus, sans qu’ils aient même attendu les traits des Grecs pour prendre la fuite ?

Alexandre

Cependant les Scythes, mon père, et les éléphants indiens, ce ne sont pas ennemis à dédaigner ; et pourtant je les ai vaincus, sans semer entre eux la discorde, sans acheter la victoire par des trahisons. Jamais je n’ai fait de faux serments, trahi la foi jurée, commis la moindre perfidie pour être vainqueur. J’ai soumis une partie de la Grèce sans verser de sang ; mais pour Thèbes, vous savez, sans doute, comment je m’en suis vengé.

Philippe

Je sais tout cela ; Clitus me l’a appris, lui que tu as tué d’un coup de lance au milieu d’un festin, parce qu’il avait l’audace de louer mes exploits comparés aux tiens. Mais il paraît que tu as mis de côté la chlamyde macédonienne pour te revêtir de la robe persique, coiffé ta tête d’une tiare droite et voulu te faire adorer par les Macédoniens, qui sont des hommes libres ; qu’enfin, ce qui est le comble du ridicule, tu as adopté les mœurs des vaincus. Je ne parle pas ici de tes autres prouesses, comme de renfermer avec des lions des hommes distingués par leur sagesse, de contracter de singuliers mariages, et d’aimer Héphestion d’une tendresse excessive. Il n’y a qu’un trait que j’aie approuvé en l’apprenant, c’est que tu as respecté la femme de Darius, qui était belle, et que tu as pris soin de la mère et des filles de ton ennemi ; c’est agir en roi.

Alexandre

Et cette ardeur, mon père, qui me faisait braver ie danger, vous ne la louez pas, ni ce courage à franchir le premier le mur des Oxydraques, à sauter dans la ville, et à recevoir tant de blessures ?

Philippe

Non, je n’approuve pas cela, Alexandre. Ce n’est pas qu’il ne soit quelquefois glorieux à un roi d’être blessé et d’affronter le danger pour son armée ; mais ici une pareille conduite ne te rapportait rien. L’idée que tu étais un dieu, si une