Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/196

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t spectacle de voir les uns pleurer, les autres supplier qu’on les lâche, quelques-uns descendre à grand’peine, quoique Mercure les pousse par le cou, puis se révolter, se coucher sur le dos, toutes résistances inutiles.

Cratès

Et moi, j’achèverai de vous raconter, en route, ce que j’ai vu quand je suis descendu.

Diogène

Raconte-nous cela, Cratès : il me semble que ton récit va nous donner à rire.

Cratès

Avec moi descendait une foule nombreuse d’hommes, parmi lesquels se trouvaient des gens de distinction : le riche Isménodore, notre concitoyen, Arsace, gouverneur de Médie, et Orœtès l’Arménien. Isménodore avait été assassiné par des brigands, auprès du Cithéron, lorsqu’il se rendait, je crois, à Eleusis : il gémissait, tenait les deux mains sur sa blessure, appelait ses enfants qu’il laissait en bas âge, se reprochait son imprudence d’avoir osé passer le Cithéron et les contrées voisines d’Eleuthère, lieux déserts, dévastés par la guerre, n’ayant emmené avec lui que deux esclaves, et cela, lorsqu’il portait cinq fioles d’or et quatre cymbes. Arsace, déjà vieux, et d’un air assez respectable, ma foi ! se plaignait en vrai barbare, il s’indignait d’aller à pied et demandait qu’on lui amenât son cheval : son cheval, en effet, avait péri avec lui : tous deux avaient été percés du même coup par un peltaste thrace, dans un combat livré près de l’Araxe contre un prince de Cappadoce. Arsace, comme il nous le raconta lui-même, s’avançait loin des siens à la rencontre de l’ennemi : ce Thrace, opposant son bouclier à l’attaque, se glisse, détourne la lance d’Arsace, et d’un coup de sarisse perce d’outre en outre le cavalier et le cheval.

Antisthène

Comment, Cratès ! d’un seul coup ? Cela n’est pas possible.

Cratès

Rien de plus facile, Antisthène. Arsace fondait sur son ennemi avec une lance de vingt coudées : le Thrace, parant le coup avec son bouclier, de manière que là pointe de la lance passe derrière lui, met un genou en terre, et, soutenant le choc avec sa sarisse, il blesse le cheval, qui s’enferre en plein poitrail, emporté par trop d’ardeur et de fougue ; puis, du même coup, il traverse l’aine d’Arsace, et plonge son fer jusqu’aux reins. Tu vois comment cela s’est fait : c’est plutôt la faute du cheval que de l’homme. Arsace, cependant, s’indignait d’être mis