che, qu’il n’aboie après moi, si je l’approche, et, ma foi, qu’il ne me morde. Ne vois-tu pas comme il lève son bâton, fronce les sourcils, et lance des regards menaçants et furieux ?
Mercure. N’aie pas peur ; il est apprivoisé.
[8] Le marchand. D’abord, mon ami, dis-moi d’où tu es.
Diogène. De partout.
Le marchand. Que veux-tu dire ?
Diogène. Tu vois un citoyen du monde.
Le marchand. Qui donc imites-tu ?
Diogène. Hercule[1].
Le marchand. Pourquoi, alors, n’es-tu pas vêtu de la peau de lion ? Ton bâton te donne déjà un air de ressemblance.
Diogène. Ma peau de lion, c’est ce manteau : comme Hercule je fais la guerre aux voluptés, non par ordre, mais de moi-même ; j’ai entrepris de nettoyer la vie humaine.
Le marchand. Belle entreprise ! Mais en quoi donc es-tu le plus habile ? quel est ton métier ?
Diogène. Je suis libérateur des hommes et médecin des passions ; en un mot, je veux être l’interprète de la vérité et de la franchise.
9. Le marchand. À merveille, mon cher interprète ! Si je t’achète, comment m’instruiras-tu ?
Diogène. En te prenant pour disciple, je commencerai par te dépouiller de ton bien-être, je t’enfermerai dans l’indigence, je te revêtirai d’un manteau : ensuite je te forcerai à peiner et à travailler, dormant par terre, buvant de l’eau, ne mangeant que ce qui te tombera sous la main. Si tu as des richesses, fidèle à mes leçons, tu les jetteras dans la mer ; tu ne te soucieras plus de femme, d’enfants, de patrie : tout cela pour toi ne sera que fadaises. Tu abandonneras la maison paternelle, pour habiter un tombeau, quelque tour abandonnée, ou bien un tonneau. Tu auras une besace pleine de lupins, de livres écrits sur les deux pages, et dans cette condition, tu te vanteras d’être plus heureux que le grand roi. Si l’on te donne des coups de fouet, si l’on te met à la question, tu ne croiras pas que ce soit un mal.
Le marchand. Que dis-tu là ? Je n’éprouverai point de douleur si l’on me fouette ? Je n’ai pas une carapace de tortue ou de crabe.
Diogène. Tu suivras la maxime d’Euripide[2], avec une légère variante.