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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/24

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XII
INTRODUCTION ET NOTICE.

sens de l’orthodoxie païenne, il ne craint ni Jupiter ni son tonnerre, ni le Tartare ni les peines réservées à l’impiété. Les enfers ne sont pour lui qu’un théâtre, une salle de spectacle, où il fait agir et parler les personnages dont son imagination a ranimé les cadavres : l’Olympe est une scène burlesque, où s’agitent les marionnettes divines, dont il tire les fils et dirige les mouvements au gré de sa raillerie capricieuse et fantasque.

Je ne cherche point à dissimuler qu’en immolant le polythéisme aux témérités de son imperturbable raison, déguisée en imagination libre et folle, il a travaillé à la ruine de la religion de son pays et de son siècle, et entraîné vers l’incrédulité les esprits séduits par ses ironies bouffonnes. Mais le n’ai point, en raison même de cet effet produit par ses railleries, le courage de le condamner, vu qu’il frayait ainsi la voie à la religion du Christ ; et je ne suis pas plus sévère que les premiers chrétiens, qui, en faveur des bonnes plaisanteries qu’il avait dirigées contre les dieux et les pratiques du paganisme, lui pardonnèrent son indifférence et ne s’interdirent point la lecture de ses écrits[1]. Il y a plus : je ne puis douter qu’il n’ait forgé les armes dont se sont servis, pour saper à leur tour les bases du polythéisme, non-seulement le satirique Hermias et le poëte Prudence, niais les Pères de l’Église grecque et latine.

Les chrétiens ont donc pu le considérer moins comme un de leurs ennemis que comme un de leurs alliés et de leurs auxiliaires ; mais fut-il apostat, ainsi que certains auteurs l’ont prétendu ? après avoir été initié aux dogmes de la religion nouvelle, l’a-t-il abandonnée, pour se donner ensuite le plaisir impie de la tourner en ridicule ? Non, dirons-nous avec Reitz, Gesner, Lehmann, et les plus habiles commentateurs du philosophe grec[2]. Lucien n’est point absolument étranger à la religion chrétienne. J’avoue, pour ne rien dire

  1. Cette réflexion est de Letronne.
  2. Voy. la dissertation de Gesner sur le Philopatris, les notes de Dusoul et de Lefèvre sur le Pérégrinus, et la dissertation spéciale de Reitz sur ce sujet. Cf. Lehmann, t. I des œuvres complètes de Lucien, Prolégomènes.