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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/241

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LES SECTES À L’ENCAN.

Mercure. Allons ! attention, tout le monde ! C’est un article magnifique, et qui demande un riche acheteur. C’est la vie suave, la vie trois fois heureuse ! Qui est-ce qui veut de la Volupté ? Qui est-ce qui achète cet être délicat ?

Le marchand. Viens ici, et dis-nous ce que tu sais faire. Je t’achèterai, si tu peux m’être utile.

Mercure. Ne l’importune pas, mon cher ; ne lui demande rien : il est ivre, et ne pourrait pas répondre : tu vois comme il bégaye !

Le marchand. Alors, quel homme de bon sens voudrait acheter un esclave si corrompu, si dépravé ? Comme il exhale une odeur de parfums ! Comme sa marche est chancelante et mal assurée ! Mais toi, Mercure, dis-moi quels sont ses talents, ce qu’il sait faire.

Mercure. Une seule chose : il est bon convive, sachant boire en compagnie, et festiner avec une joueuse de flûte, chez un maître amoureux et débauché. Il sait, en outre, parfaitement faire les gâteaux ; c’est un cuisinier fort habile. Enfin, il est passé maître en fait de voluptés. Élevé à Athènes, il a servi en Sicile les tyrans, qui l’ont tenu en grande estime. Le point sommaire de sa philosophie, c’est de mépriser toutes choses, d’user de tout, et de chercher en tout le plaisir.

Le marchand. Tu es libre de jeter les yeux sur d’autres acheteurs, riches et opulents ; pour moi, je ne suis pas en état d’acheter sa joyeuse vie.

Mercure. Celui-là, Jupiter, me fait l’effet de ne pas trouver d’acquéreur, et de nous rester.

[13] Jupiter. Fais-le retirer, produis-en un autre, ou plutôt ces deux à la fois, le rieur d’Abdère et le pleureur d’Éphèse[1] : je veux les vendre ensemble.

Mercure. Avancez au milieu. À vendre deux bonnes vies ! Je mets en criée les deux plus sages des hommes.

Le marchand. Par Jupiter ! quel contraste ! L’un ne cesse de rire ; l’autre a l’air d’assister à un enterrement, il ne cesse de pleurer. Hé ! l’ami ! qu’as-tu donc à rire ?

Démocrite. Tu le demandes ? Tout ce que vous faites me semble risible, et vous par-dessus le marché.

Le marchand. Que dis-tu là ? Tu te moques de nous tous, et tu n’estimes rien de tout ce que nous faisons ?

Démocrite. C’est cela même ! Il n’y a rien de sérieux au monde : tout est vide, concours d’atomes, infini !

  1. Démocrite et Héraclite. Ils parlent tous les deux en dialecte ionien.