Le marchand. Tu te trompes ; il n’y a que toi de vide, et d’infiniment sot. Voyez, l’insolence ! ne cesseras-tu pas de rire ?
[14] Et toi, mon cher, pourquoi pleures-tu, car je préfère causer avec toi ?
Héraclite. Je regarde toutes les choses humaines, ô étranger, comme tristes et lamentables, et rien qui n’y soit soumis au destin : voilà pourquoi je les prends en pitié, pourquoi je pleure. Le présent me semble bien peu de chose, l’avenir désolant : je vois l’embrasement et la ruine de l’univers : je gémis sur l’instabilité des choses ; tout y flotte comme dans un breuvage en mixture ; amalgame de plaisir et de peine, de science et d’ignorance, de grandeur et de petitesse : le haut et le bas s’y confondent et alternent dans le jeu du siècle.
Le marchand. Et qu’est-ce que le siècle ?
Héraclite. Un enfant qui joue, qui jette des dés, qui saute à l’aventure.
Le marchand. Et les hommes, qui sont-ils ?
Héraclite. Des dieux mortels.
Le marchand. Et les dieux ?
Héraclite. Des hommes immortels.
Le marchand. Tes discours sont des énigmes, mon cher, de vrais logogriphes : probablement, ainsi que Loxias[1], tu ne dis rien de clair[2].
Héraclite. Je me soucie peu de vous.
Le marchand. Aussi faudrait-il être bien sot pour te prendre.
Héraclite. Moi, je vous ordonne à tous de pleurer à chaudes larmes, petits et grands, acheteurs ou non.
Le marchand. Son mal se rapproche beaucoup de l’humeur noire ; je n’achèterai ni l’un ni l’autre.
Mercure. En voilà deux encore qui nous restent au magasin !
Jupiter. Mets-en un autre en vente.
[15] Mercure. Veux-tu ce bouffon athénien[3] ?
Jupiter. Oui.
Mercure. Viens ici, toi. Bonne vie à vendre, homme de bon sens ! Qui veut acheter cet excellent personnage ?
Le marchand. Dis-moi, que sais-tu faire ?
Socrate. J’aime les garçons, et je sais à fond tout ce qui concerne l’amour[4].