Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/283

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Bon ! j'arriverai plus vite que vous.

Clotho

Non pas. Approchons-nous plutôt pour le prendre avec nous ; et toi, Mercure, tends-lui la main pour monter.

19.

Charon

Mais où s'assiéra-t-il ? Tout est plein, comme tu vois.

Mercure

Sur les épaules du tyran, ma foi !

Clotho

Excellente idée, Mercure ! Monte, et éreinte-nous ce scélérat. Et nous, bon voyage !

Cyniscus

Dis-moi, Charon, à te parler franchement, je n'ai pas une obole à te donner pour mon passage. Je n'ai absolument que cette besace et ce bâton. Seulement, si tu veux que je vide la sentine ou que je rame, je suis prêt. Tu n'auras pas à te plaindre, pourvu que tu me donnes une rame commode et solide.

Charon

Rame donc ! je me contenterai de ce payement.

Cyniscus

Ne faut-il pas aussi chanter une chanson de rameurs ?

Charon

Oui, par Jupiter ! si tu en sais quelqu'une bonne pour des marins.

Cyniscus

J'en sais plusieurs, Charon. Mais écoute, ils nous répondent par des gémissements ; ce vacarme va troubler notre chanson.

20.

Un riche

Ah ! mes richesses !

Un autre

Ah ! mes campagnes !

Un autre

Ah ! ah ! quelle maison j'ai quittée !

Un autre

Que de talents j'ai laissés à mon héritier qui les dépensera !

Un autre

Hélas ! hélas ! mes petits enfants !

Un autre

Qui vendangera les vignes que j'ai plantées l'année dernière ?

Mercure

Et toi, Micylle, tu ne regrettes rien ? Il n'est cependant pas permis de passer sans répandre des larmes.

Micylle

Ma foi ! je n'ai aucun sujet de me désoler avec une traversée aussi belle.

Mercure

N'importe, il faut bien un peu pleurer afin de ne pas déroger à la coutume.

Micylle

Je vais pleurer, Mercure, pour te faire plaisir. Ah ! mes cuirs ! ah ! mes vieux souliers ! ah ! mes savates pourries ! Désormais, infortuné, je ne resterai plus à jeun jusqu'au soir : je ne passerai plus l'hiver sans chaussures ; je ne courrai plus les rues à demi nu et claquant des dents. Qui donc aura mon tranchet et mon alêne ? Mais c'est assez pleuré ; nous voici tout à l'heure à l'autre bord.