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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/573

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LES AMOURS.

j’en jure par tes amours, aux traits desquels tu as offert un large but, que tu en aies déjà terminé le récit. Aussi, je te supplie au nom de Vénus, si tu as encore à me raconter quelqu’une de tes amoureuses aventures avec un garçon, ou bien, par Jupiter, avec une femme, de l’évoquer doucement dans ton souvenir. D’ailleurs, nous célébrons aujourd’hui une fête des plus solennelles : nous sacrifions à Hercule. Tu n’ignores pas combien ce dieu était ardent aux plaisirs de Vénus ; il me semble que tes discours seront pour lui d’agréables victimes.

[2] Théomneste. Tu compterais plus tôt, Lycinus, les vagues de la mer et les flocons de neige qui tombent du ciel, que le nombre de mes amours. Je pense que j’ai vidé tout leur carquois, et que, quand ils voudront voler vers quelque autre, il se rira de leur main désarmée. Depuis le jour où je suis sorti de l’enfance pour être rangé parmi les adolescents, je me joue de désir en désir. Les amours se succèdent sans interruption, et le premier n’a pas pris fin que déjà le second commence, têtes de Lerne plus entrelacées que celles de l’hydre, toujours renaissantes, et contre lesquelles ne peut rien le secours d’Iolas. Ce n’est pas, en effet, dans le feu que le feu va s’éteindre. Je ne sais quel humide attrait habite dans mes yeux, qui ravit à soi, sans se lasser jamais, toute espèce de beauté. Souvent il m’est venu à la pensée que c’était un effet du courroux de Vénus. Je ne suis point pourtant une fille du Soleil, je n’ai pas commis le crime des Lemniennes[1], et l’on ne me voit pas la sauvage fierté d’Hippolyte, pour avoir allumé l’implacable colère de la déesse.

[3] Lycinus. Cesse, Théomneste, cette dissimulation affectée que je ne puis souffrir. Quoi ! tu serais fâché que le sort t’eût donné en partage un pareil genre de vie ? Il te paraît dur de vivre dans la société de femmes charmantes, de jeunes garçons florissants de beauté ? Ah ! sans doute, il faudra quelque sacrifice expiatoire pour te délivrer d’un si grand mal : c’est une affection dangereuse. Laisse donc là tout ce badinage, et regarde-toi comme heureux de n’être pas condamné par les dieux à l’agriculture, ennemie de la propreté, au commerce, qui nous expose à des courses fatigantes, à la milice toujours en armes. Les exercices onctueux de la palestre sont ta seule occupation : une robe élégante descend somptueusement à tes pieds : ton unique soin est d’entretenir ta chevelure séparée : le tourment même des désirs amoureux est rempli de charmes, et le plaisir te fait sentir ses morsures pleines de douceur. La poursuite te conduit

  1. Voy. le Dict. de Jacobi, au mot Hypsipyle.