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LES AMOURS.

commune est qu’il se précipita contre des rochers ou qu’il s’élança dans la mer ; le fait est qu’il disparut pour toujours. »

[17] La prêtresse parlait encore, que Chariclès, l’interrompant, s’écria : « Une femme se fait donc aimer, même lorsqu’elle est de pierre ? Eh ! que serait-ce si l’on voyait vivante une beauté si parfaite ? Ne préférerait-on pas une seule de ses nuits au sceptre de Jupiter ? » Alors Callicratidas se mettant à sourire : « Nous ne savons pas encore, Chariclès, dit-il, si, en arrivant à Thespies, nous n’apprendrons pas une foule d’histoires semblables. En attendant, ceci est une preuve manifeste, qui dépose contre la Vénus que tu préfères. — Comment donc ? » repartit Chariclès. Callicratidas lui répondit avec assez de raison, ce me semble : « Ce jeune homme amoureux, dit-il, avait le loisir d’une nuit entière et pleine liberté pour satisfaire complètement sa passion ; cependant il s’est approché de la statue à la manière philopédique, et il eût voulu, je pense, ne point trouver de femme de l’autre côté. » Quelques propos semblables, jetés au hasard et sans ordre, ayant soulevé une dispute assez vive : « Mes bons amis, leur dis-je, pour apaiser la querelle, traitez donc la question avec plus de méthode, comme il convient entre gens instruits. Cessez une discussion qui, n’étant point réglée, ne finirait jamais, et que chacun de vous, à tour de rôle, soutienne son opinion. Il n’est pas encore temps de retourner au vaisseau. Profitons de ce loisir pour nous livrer à la gaieté et à une recherche, qui peut joindre l’utilité au plaisir. Sortons donc du temple, allons nous asseoir dans quelqu’une des salles de festin, et là nous pourrons, à notre aise, écouter et dire tout ce qu’il nous plaira. Souvenez-vous seulement que celui qui sera vaincu en ce jour ne doit plus, par la suite, revenir à la charge sur de pareils objets. »

[18] Mon avis est approuvé ; nous sortons, moi gaiement et sans aucune arrière-pensée, eux avec un air rêveur et roulant dans leur esprit mille réflexions profondes, comme s’il se fût agi de disputer à qui conduirait la pompe des Platéens[1]. Arrivés dans un endroit couvert, où régnait un épais ombrage, siège fort commode pour la saison d’été : « Voici, leur dis-je, un lieu

  1. « Chaque année, le seizième jour du mois maimactérion, qui répond au commencement du mois d’août, les habitants de Platées célébraient une pompe funèbre en l’honneur de ceux qui avaient perdu la vie dans la bataille de ce nom. » : Belin de Ballu. — On sait que cette bataille fut gagnée par les Grecs sur les Perses, l’an 479 avant Jésus-Christ, le même jour où les Perses étaient également vaincus sur mer auprès de Mycale.