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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/597

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LES AMOURS.

la raison, alors celui que nous avons aimé paye de retour notre tendresse : on ne saurait distinguer lequel des deux est l’amant ; leur affection est un miroir qui réfléchit la bienveillance de celui qui aime et de celui qui est aimé. Pourquoi, dès lors, nous reprocher, comme une volupté criminelle, un bien qui nous est accordé par la volonté des dieux, et dont la succession s’est perpétuée jusqu’à nous ? Celui-là est heureux, suivant le témoignage des hommes sages[1],

        Qui voit à ses côtés de jeunes serviteurs,
        Et de qui les coursiers sont brillants de jeunesse :
        Rien n’allège les maux de la triste vieillesse,
        Comme un essaim d’enfants dont on a tous les cœurs.

« La doctrine de Socrate, ce juge si brillant de la vertu, a été consacrée par le trépied de Delphes, et la Pythie a prononcé l’oracle de la vérité, quand elle a déclaré Socrate le plus sage de tous les hommes, lui qui, entre mille découvertes dont il a enrichi son siècle, lui a fait connaître le précieux trésor de la philopédie.

[49] « Oui, il faut aimer les jeunes gens de la même manière que Socrate aimait Alcibiade, avec lequel il reposait comme un frère, sous la même chlamyde[2].

« Pour moi, je ne puis mieux terminer ce discours que par ces vers de Callimaque qui contiennent un avis utile à tous :

        Vous, qui sur les garçons fixez d’avides yeux,
        Le sage d’Erchios[3] à l’amour vous convie ;
        Aimez donc : la cité par vous sera remplie
        D’excellents citoyens, d’habitants vertueux.

« Retenez bien cette maxime, jeunes gens, et recherchez sagement la société des enfants bien nés. N’allez pas, dans la vue d’un plaisir passager, prodiguer une longue tendresse, ni feindre des sentiments que l’âge mûr verrait s’éteindre. Adorez le céleste Amour, et gardez jusqu’à la vieillesse un attachement inaltérable. Quand on aime ainsi, le temps de la vie est plein de douceur, la voix de la conscience ne reproche aucun crime, et la mort est suivie d’un renom universel. S’il faut en croire les enfants des philosophes, l’éther reçoit, après la vie, ceux qui se sont abandonnés à ces penchants : ils ne meurent que

  1. Vers attribués à Callimaque.
  2. Voy. le discours d’Alcibiade dans le Banquet de Platon.
  3. Bourg de l’Attique, duquel était Xénophon.