l’univers : il semble que tu ne lances qu’un vieux tison dont on ne redoute ni le feu, ni la fumée ; et l’on ne craint d’autre mal de cette blessure, que d’être couvert de suie. C’est pour cela que Salmonée n’a pas en peur d’imiter ton tonnerre, et qu’il a même trouvé quelque confiance, en opposant à la froideur de Jupiter le feu de son audace et de son orgueil. Et pouvait-il en être autrement ? Tu dors, comme assoupi par de la mandragore ; si bien que tu n’entends plus ceux qui se parjurent, que tu ne vois plus ceux qui commettent des injustices ; mais tu es myope, tu ne vois goutte aux actions humaines, et tes oreilles sont dures comme celles des vieillards.
[3] Lorsque tu étais plus jeune, l’âme ardente et irascible, tu faisais merveille contre les injustes et les scélérats ; tu ne leur laissais aucuns trêve, ta foudre était toujours prompte, ton égide sans cesse en mouvement ; ton tonnerre résonnait avec fracas, et tes éclairs fréquents semblaient une escarmouche avant la bataille : la terre tremblait comme un crible, la neige volait en flocons, la grêle roulait comme des pierres. Bientôt, pour parler un langage plus relevé, surviennent des pluies torrentielles ; chaque goutte d’eau est un fleuve : en un clin d’œil, au temps de Deucalion[1], la terre n’est plus qu’un immense naufrage, le monde est inondé, et c’est à peine s’il en échappe une petite arche, qui, abordant au mont Lycoris[2], conserve le foyer d’une race humaine, pire que la première.
[4] Aussi as-tu recueilli le prix de ton insouciance : on ne t’offre plus de sacrifices, on ne couronne plus tu statues, si ce n’est quelquefois, par hasard, à Olympie ; encore celui qui le fait, ne croit-il pas remplir un devoir rigoureux, mais simplement payer tribut à un antique usage. Avant peu l’on ne verra en toi, qui es le plus grand des dieux, qu’un Saturne qu’on dépouillera de tous ses honneurs. Je ne dis pas combien de fois les voleurs ont pillé tes temples ; ils ont été jusqu’à porter les mains sur toi à Olympie ; et toi, qui fais là-haut tant de tapage, tu ne t’es pas donné la peine d’éveiller les chiens, ni d’appeler les voisins, qui, en accourant à tes cris, eussent arrêté les voleurs faisant leurs paquets pour la fuite ; mais en vrai brave, toi, l’exterminateur des Géants, toi, le vainqueur des Titans, tu es demeuré assis, laissant tondre tes cheveux