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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome I, 1866.djvu/98

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PROMÉTHÉE OU LE CAUCASE.

froid, vous ne faites pas cuire l’ambroisie, et vous pouvez vous passer de lumière artificielle.

[19] Les hommes, au contraire, ont tout à fait besoin du feu, surtout pour les sacrifice, pour parfumer les rues de l’odeur des victimes, brûler l’encens et rôtir les cuisses sur les autels. Je vois même que vous ne vous plaisez pas mal à la fumée, et que c’est pour vous un délicieux régal, quand cette odeur monte vers le ciel avec la fumée qui s’élève en spirales[1]. Vos reproches sont donc en contradiction complète avec vos goûts. Je m’étonne aussi que vous n’empêchiez pas le soleil de luire sur les hommes : son feu est bien plus divin, bien plus ardent. L’accuserez-vous aussi de vous avoir dérobé votre bien ? J’ai dit. Pour vous, Mercure et Vulcain, si vous trouvez quelque chose à reprendre, redressez, accusez, et moi je me justifierai encore.

[20] Mercure. Il n’est pas facile, Prométhée, de lutter avec un si vigoureux sophiste. Cependant félicite-toi de ce que Jupiter ne t’a pas entendu : je suis sûr qu’il aurait attaché sur toi seize vautours pour te déchirer les entrailles, tant tu as mis de violence à l’accuser, en paraissant te défendre. Mais je suis étonné qu’étant devin tu n’aies pas prévu le supplice que tu subis.

Prométhée. Je le savais, Mercure, et je sais aussi que je dois être délivré : avant peu un Thébain[2], de tes amis, viendra ici et tuera à coups de flèches l’aigle dont tu m’annonces l’arrivée.

Mercure. Puisse-t-il en être ainsi, Prométhée ! puissé-je te voir délivré, assis à table avec nous, pourvu seulement que tu ne fasses pas le partage des viandes !

[21] Prométhée. Sois tranquille, Mercure, je m’assiérai bientôt à votre table, et Jupiter me délivrera pour lui avoir procuré un bien grand bonheur.

Mercure. Lequel ? Parle vite.

Mercure. Tu connais Thétis[3], n’est-ce pas, Mercure ?… mais il ne faut rien dire ; mieux vaut garder mon secret, afin qu’il soit le prix et la rançon de ma délivrance.

Mercure. Garde-le donc, Titan, si tu crois ce parti le meilleur. Pour nous, Vulcain, allons-nous-en ; voici l’aigle qui arrive. Du courage, Prométhée ! Je voudrais déjà voir paraître l’archer thébain, qui doit mettre fin aux cruelles morsures de cet oiseau.

  1. Iliade, I, v. 318.
  2. Hercule.
  3. Voy. le premier Dialogue des dieux.