Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/13

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mot, il la rendra semblable à sa Vénus d’or[1], avec plus de justesse encore que la fille de Brisès[2].

[9]Voilà ce que peuvent faire les enfants de la sculpture, de la peinture et de la poésie[3]. Mais ce qui fleurit surtout parmi tant d’attraits, je veux dire la grâce, ou plutôt toutes les Grâces réunies au chœur des Amours, qui pourrait se flatter de l’exprimer ?

Polystrate. Ah ! Lycinus, c’est vraiment un miracle de beauté dont tu nous parles ; c’est quelque être divin descendu du ciel. Que faisait-elle quand tu l’as vue ?

Lycinus. Elle avait entre les mains un Livre à moitié roulé, dont elle paraissait avoir lu une partie et s’occuper à lire l’autre. Tout en marchant elle s’entretenait de je ne sais quel sujet avec une personne de sa suite ; je n’ai pu entendre ce qu’elle disait, mais elle souriait, Polystrate, et m’a laissé voir ses dents. Comment te dire leur blancheur, leur régularité, leur disposition admirable ? As-tu jamais vu un beau collier de perles brillantes et d’une égale grosseur ? Ainsi ses dents étaient rangées. Ses lèvres de corail en faisaient encore ressortir la blancheur. On pourrait les comparer à cet ivoire poli dont parle Homère[4] ; aucune n’était plus large que les autres, ni plus saillante ou plus écartée ; elles avaient une égalité et une couleur parfaites, une grandeur unique et une continuité irréprochable. En un mot, c’est une vue merveilleuse, qui laisse loin derrière elle toute espèce de beauté mortelle.

[10]Polystrate. Arrête. Je sais maintenant, sans nul doute, quelle est la femme dont tu veux parler : je la reconnais à ses traits et à sa patrie. Ne m’as-tu pas dit qu’elle était suivie de quelques eunuques ?

Lycinus. Oui, et d’un certain nombre de soldats.

Polystrate. C’est la maltresse de l’empereur, mon char, cette beauté ravissante.

Lycinus. Quel est son nom ?

Polystrate. Un nom charmant, Lycinus, un nom tout ai-

  1. Iliade, XIX, v. 282.
  2. Hippodamie, plus connue sous le nom de Briséis.
  3. Nous avons déjà vu cette locution de Lucien, pour dire les sculpteurs, les peintres et les poëtes : elle rappelle la forme d’Horace dans ces vers :

              Æque tellus
    Pauperi recluditur
       Regumque pueris.

    Liv. II, ode xviii, v. 32 et suivants.
  4. Odyssée, XVIII, v. 195.