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OU LES JUGEMENTS.

coq à Esculape[1]. Ses ennemis philosophaient en faveur de l’Injustice, et ils ont été les plus forts.

[6] Jupiter. La philosophie, à cette époque, était encore étrangère à la plupart des hommes ; elle n’avait qu’un petit nombre de prosélytes, de telle sorte qu’Anytus et Mélitus ont pu entraîner le tribunal. Mais aujourd’hui ne vois-tu pas que de manteaux, de bâtons et de besaces ? On ne rencontre partout que longues barbes, livres sous le bras gauche, philosophes qui ne parlent que de toi. Les promenades sont remplies de gens qui marchent par escadrons et par phalanges et viennent à la rencontre les uns des autres, et il n’y en a pas un qui ne tienne à passer pour un nourrisson de la vertu. Beaucoup donc, renonçant au métier qu’ils avaient exercé jusque-là, se jettent sur une besace, sur un manteau, et, se rendant au soleil le corps noir comme des Éthiopiens, ils deviennent, de maçons et de cordonniers, des philosophes qui célèbrent ta puissance et celle de la vertu. C’est au point qu’il serait plus aisé de tomber dans un vaisseau sans y rencontrer du bois, que de jeter ici les yeux sans rencontrer un philosophe.

[7] La Justice. Il est vrai, Jupiter ; mais ces philosophes m’effrayent par leurs disputes continuelles, et par leur ignorance qu’ils font paraître quand ils parlent de moi. On m’a dit même que la plupart d’entre eux me recherchent seulement en paroles, tandis qu’en réalité, loin de vouloir me recevoir chez eux, ils sont tout prêts à me fermer au nez la porte de leur maison, où depuis longtemps ils donnent l’hospitalité à l’Injustice.

Jupiter. Tous ne sont pas corrompus, ma fille : il suffit que tu puisses en rencontrer quelques-uns de bons. Partez donc, il est temps, afin qu’il y ait du moins plusieurs causes jugées aujourd’hui.

[8] Mercure. Allons, Justice, marchons tout droit vers Sunium, un peu au-dessous de l’Hymette, à gauche du Parnèthe, où sont ces deux monticules. On dirait que tu as oublié depuis longtemps le chemin. Mais pourquoi ces pleurs, cette désolation ? Ne crains rien. Tous les siècles ne se ressemblent pas. Les Scirons, les Pityocamptes, les Busiris et les Phalaris, que tu redoutais jadis, n’existent plus. C’est aujourd’hui la Sagesse, l’Académie et le Portique qui occupent tout ; on te cherche de tous côtés, on ne s’entretient que de toi, et l’on attend la bouche ouverte de quel endroit du ciel tu vas diriger ton vol sur la terre.

  1. Voy. le Phédon et le Criton de Platon.