Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/18

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ner les traits de l’autre Théano, épouse d’Anténor[1], ceux d’Arété[2], de sa fille Nausicaa, et de toutes les femmes qui, dans une haute fortune, se sont distinguées par leur modération.

[20]Après ce tableau, nous ferons celui de sa vertu et de son amour pour le héros dont elle partage la couche : telle était la fille d’Icarius[3], cette femme prudente et sage, dont Homère a tracé le portrait ; car c’est ainsi qu’il a peint Pénélope. Mais plutôt, par Jupiter !, représentons-la comme l’épouse d’Abradate, dont elle porte le nom et de laquelle nous avons parlé tout à l’heure.

Lycinus. Ah ! Polystrate, ce dernier coup de pinceau achève ta peinture ; mais tes portraits doivent être bientôt finis, car tu as détaillé son âme tout entière, en en louant successivement les parties.

Polystrate. Non pas tout entière : je n’ai point encore parlé de ce qui mérite nos plus grands éloges ; je n’ai pas dit quelle elle se montre au milieu de sa condition splendide ; point d’orgueil dans la prospérité qui l’environne, nulle confiance dans la fortune qui l’a placée si haut au-dessus des hommes : elle sait demeurer au même niveau ; jamais un mot incivil, une pensée insolente ; populaire à ceux qui l’abordent, elle descend avec eux sur le terrain de l’égalité, se montre toujours affable dans les témoignages d’amitié et de politesse, et charme ainsi d’autant plus ceux qui les reçoivent, qu’ils partent d’une personne élevée, sans avoir rien de théâtral. C’est ainsi que ceux qui font tourner leur pouvoir, non vers le dédain, mais vers la bienveillance, paraissent vraiment dignes des biens que le sort leur a départis. Seuls, ils échappent justement à l’envie ; personne ne jalousant une puissance qui se montre modérée dans le succès, et qui ne va pas, semblable à l’Até d’Homère[4], fouler aux pieds les têtes des hommes et écraser ceux qui sont au-dessous d’elle. Voici, d’ailleurs, ce qui arrive aux gens d’un esprit étroit et rendus insolents par la fortune. Lorsque cette déesse, au moment où ils s’y attendent le moins, les fait monter sur son char aux ailes rapides, peu satisfaits de leur sort, ils ne regardent plus la terre et ils aspirent à s’élever davantage ; mais bientôt, nouveaux Icares, leur cire se fond, leurs ailes se dispersent au vent, et ils font rire, en tombant sur la tête au

  1. Iliade, V, v. 70.
  2. Femme d’Alcinoüs, roi des Phéaciens. Voy. Odyssée, VIII, v. 65.
  3. Pénélope.
  4. Iliade, X, v. 500. Cf. le Dict. de Jacobi.