Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/289

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sur ceux de condition libre, qui ne manqueront pas, s'ils ne sont bien payés, de divulguer, en s'en allant, tant ce que vous faites après boire comme l'a fait dernièrement ce débauché qui, sortant de chez toi, a révélé tes turpitudes et étalé tes morsures. Je pourrais te faire attester par ceux qui étaient présents que je me suis emporté et que j'ai été sur le point de battre cet indiscret, dont les aveux me révoltaient pour toi, surtout quand il s'est mis à prendre à témoin deux ou trois jeunes gens, qui ont confirmé de point en point son récit. Crois-moi donc, excellent homme, épargne ton argent ; garde-le pour pouvoir chez toi faire et souffrir en toute sûreté ce que bon te semble ; car comment te dissuader d'agir de la sorte ? La chienne ne quitta pas facilement le cuir qu'on lui a appris à ronger.

[26] Mon second conseil est facile à suivre : n'achète plus de livres ; tu es assez savant, assez érudit ; tu as bientôt toute l'antiquité sur le bord des lèvres : tu sais toute l'histoire, tous les secrets du langage, beautés et défauts, emploi des termes attiques. Tu es devenu un miracle de sagesse et de science, grâce à ton déluge de livres : rien n'empêche, en effet, que je ne m'amuse un peu avec toi, puisque tu aimes si fort qu'on t'en impose.

[27] J'apprendrai pourtant volontiers quels sont, parmi tes livres, ceux que tu lis le plus souvent. Sont-ce les écrits de Platon ou ceux d'Antisthène ? les vers d'Archiloque ou ceux d'Hipponax ? Ou bien, dédaignant ces ouvrages, prends-tu de préférence les orateurs ? Lis-tu quelquefois le discours d'Eschine contre Timarque ? Mais tu connais tout cela, n'est-ce pas. Il n'en est rien qui ne te soit familier ? Tu as lu quelque scène d'Eupolis ou d'Aristophane ? Tu as lu toute la comédie des Baptes ? Chacun des traits qui s'y trouvent ne t'a-t-il pas frappé. N'as-tu pas rougi en t'y reconnaissant ? Ce qui doit, sans doute étonner davantage, c'est qu'avec une âme comme la tienne, tu oses toucher aux livres, et avec quelles mains ? Quand lis-tu donc ? Le jour ? Jamais personne ne te l'a vu faire. La nuit ? Est-ce possible, quand tu es tendu ailleurs ? Est-ce avant qu'on allume les flambeaux, quand vient le soir ? Tu n'oserais plus alors rien faire de semblable.

[28] Laisse-moi donc les livres, et vaque à ce que tu sais bien. Et pourtant il vaudrait mieux t'en abstenir et respecter la