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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/533

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PHILOPATRIS


Triéphon. As-tu jamais lu la comédie d’Aristophane intitulée les Oiseaux ?

Critias. Certainement.

Triéphon. Voici ce qu’on y trouve écrit[1] :

Le Chaos et la Nuit, l’Érèbe et le Tartare,
Étaient avant la Terre, avant l’Air et le Ciel.

Critias. Fort bien ; et ensuite qu’y eut-il ?

Triéphon. Une lumière incorruptible, invisible, incompréhensible, qui chassa les ténèbres et régla tout ne désordre. Un seul mot lui suffit, comme l’a consigné le Bègue[2] dans ses écrits, pour affermir la terre sur les eaux, étendre lu voûte des cieux, fixer les étoiles, ordonner la marche des planètes, que tu adores comme autant de divinités. Il orna ensuite la terre de mille fleurs, tira l’homme du néant à la vie ; et lui-même, du haut des cieux, voit les justes et les pervers, tient leurs actions écrites sur un livre, et à un jour fixe jugera chacun selon ses œuvres[3].

14. Critias. Et ce que les Parques filent à chaque mortel, est-il aussi écrit sur ce livre ?

Triéphon. De quoi veux-tu parler ?

Critias. Du Destin.

Triéphon. C’est à toi, beau Critias, de me parler des Parques : je t’écoute avec la docilité d’un disciple.

Critias. Homère, l’illustre poëte, ne dit-il pas[4] :

La Parque ne voit pas de mortel qui l’évite ?

Et ailleurs, en parlant d’Hercule[5] :

Hercule n’a pu fuir la main des Destinées,
Quoiqu’il fût cher au cœur du souverain des cieux
Du Sort et de Junon le courroux odieux
ont vaincu ce grand homme et brisé ses années.


Il dit encore que notre vie entière, avec toutes ses révolutions, est réglée par le Destin.

Il souffrira les maux que la Parque lui file[6],
Depuis que de sa mère il a reçu le jour.

  1. Voy. les Oiseaux d’Aristophane, p. 282 de la traduction de M. Artaud.
  2. Moïse, qui se donne lui-même ce surnom, Kabar leschon, dans l’Exode, IV, 10.
  3. Cf. Apocalypse, XX, 12.
  4. Iliade, VI, v. 488.
  5. Ibid., XVIII, v. 117.
  6. Odyssée, VII, v. 19.