Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/534

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
527
OU L’HOMME QUI S’INSTRUIT.


C’est encore le Destin qui nous retient sur la terre étrangère :

Retournons chez Éole au toit hospitalier[1] ;
car, malgré les secours que sa bonté nous donne,
Le Sort nous chasse encor du paternel foyer.


Le poëte témoigne assez que tous les événements dépendent de la Parque, lorsqu’il dit que Jupiter ne voulant point que son fils[2]

Éprouvât du trépas la rigoureuse loi,
Lance du haut du ciel une sanglante pluie,
Pour honorer ce fils qui doit perdre la vie
Sous les coups de Patrocle et devant Ilion.


D’après cela, Triéphon, tu ne peux plus rien dire contre les Parques, lors même que tu aurais été enlevé au ciel avec ton maître et initié à ses mystères.

15. Triéphon. Cependant, mon beau Critias, comment le même poëte a pu dire qu’il y a un double destin, dont les arrêts sont douteux ; si bien qu’en prenant tel parti, il en résultera tel effet, tandis qu’un autre amènera tel autre événement ? Par exemple lorsqu’il fait dire à Achille[3] :

Deux destins au trépas conduisent les mortels ;
si je reste en ces lieux, si je poursuis la guerre,
Je ne dois plus revoir mon palais ni mon père ;
Mais la gloire à jamais éternise mon nom.
si je retourne à Phthie, en quittant Ilion,
Je perds de ce moment toute ma renomée ;
Mais je coule une vie et longue et fortunée.


Il dit de même à propos d’Euchénor[4] :

Il connaissait le sort qui l’attendait à Troie.
Polyide, l’honneur des plus fameux devins,
Autrefois à son fils annonça ses destins.
par un mal douloureux, au sein de sa patrie,
Il devait voir flétrir le printemps de sa vie ;
ou d’un trépas plus beau la noble ambition
Devait finir ses jours dans les champs d’Ilion.

16. Ces vers ne sont-ils pas dans Homère ? N’est-ce pas là une prédiction à double sens, une fourberie qui conduit à deux fins ? Si tu veux, je puis faire parler aussi Jupiter. Ne dit-il pas

  1. Odyssée, XXIII, v. 314.
  2. Iliade, XVI, v. 442 et 458.
  3. Iliade, IX, v. 411, traduction de Rochefort.
  4. Ibid., XIII, v. 665, même traduction.