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Page:Lucien - Œuvres complètes, trad. Talbot, tome II, 1866.djvu/536

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OU L’HOMME QUI S’INSTRUIT.


tu as entendu, afin que je palisse à mon tour et que j’éprouve un changement subit. Loin de garder le silence comme Niobé, je voudrais devenir rossignol pour célébrer par mes chants, dans les campagnes fleuries, l’extrême surprise dont tu as été frappé.

Critias. Par le Fils qui procède du Père, je te promets qu’il ne t’arrivera rien de pareil.

Triéphon. Parle donc, après avoir reçu de l’Esprit le don de la parole. Moi, je vais m’asseoir,

En attendant qu’Achille ait mis fin à ses chants[1].

19. Critias. Je m’en allais par la grand’rue acheter quelques objets nécessaires : j’aperçois une multitude considérable de gens qui se parlaient tout bas, si bien que les lèvres des uns étaient collées aux oreilles des autres. Je regarde aussitôt de tous côtés, la main cambrée au-dessus des sourcils, et j’examine avec attention si je ne découvrirai pas là quelqu’un de mes amis. Je vois Craton, le fonctionnaire public, mon ami et mon commensal.

Triéphon. Je sais qui tu veux dire ; le vérificateur des poids et mesures. Ensuite ?

Critias. Je coudoie la foule, j’arrive sur le devant, et j’aborde mon homme en lui souhaitant le bonjour.

20. Alors un petit vieillard puant, nomme Choricène, ronflant du nez, toussant du fond de ses poumons et rejetant avec peine un crachat plus jaune que la mort, se met à dire d’une voix grêle : « Oui, comme je vous le disais à l’instant, il abolira les arrérages dus aux vérificateurs, remboursera les créanciers et payera les dettes privées ou publiques. Il admettra jusqu’aux faux prophètes, sans les juger d’après leur profession. » Et mille autres inepties encore plus folles. La foule qui l’entourait prenait un vif plaisir à l’écouter et attendait de nouveaux discours.

21. En ce moment, un autre personnage nommé Chleuocharme, couvert d’un lambeau tombant de vétusté, les pieds déchaux et la tête nue, se met à dire en claquant des dents : « Un homme assez mal vêtu, arrivant des montagnes, les cheveux rasés, m’a montré le nom de ce libérateur gravé sur le théâtre en lettres hiéroglyphiques ; il couvrira d’or la grand’rue. » À mon tour, prenant la parole : « Suivant les principes d’Aristandre et d’Artémidare, leur dis-je, vos songes ne seront pas suivis d’une

  1. Iliade, IX, v. 191.