Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
233
LA FIN DE RABEVEL

— Vous vous grisez d’images. La réalité n’en est pas composée.

— Allons donc ! Tu ne connais pas ma réalité à moi. J’y plonge chaque jour davantage ; si tu savais la saveur des humiliations et des désespoirs lorsque Balbine excédée me jette à la porte. Le frein rongé, l’excitation de l’esprit, les ruses, la haine et l’amour mêlés, quel nectar spiritueux ! Et puis la tristesse, le suicide proche avec l’envie de tuer et de mourir, la neurasthénie intermittente et l’approche de la folie, et les longues lettres où l’encre se délaye dans les larmes !

— Et vous me traitiez de neurasthénique tout à l’heure !

— Parce que tu ne sais pas l’être. Il faut savoir savourer l’amertume. Les cendres ont un goût puissant et âpre qu’il faut apprendre. Et surtout il n’y faut point rester ; lorsque, bouillonnant dans le cratère, les sentiments s’exaspèrent, j’ouvre le tiroir de mon bureau. Exténué d’émotion ardente, de plaisir aigu, la souffrance est un plaisir comme le froid est une brûlure ! Exténué, haletant, les yeux mi-clos, je tâte et je touche, soudain, tu comprends. — Oui, mon révolver, si froid, tu sais — le métal contre la peau moite — glacé, là sous ma main fébrile, c’est bon. Ah !

— Alors…

— La fièvre tombe quelquefois et, d’autres fois non. Je vais retrouver Balbine tremblant d’ardeur, de désir, de choses monstrueuses et jamais vues et je la supplie. Et j’ai ce révolver sournois. Elle crie. Ah ! mon cher, la vie