Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
LE MAL DES ARDENTS

lui était parvenue la lettre imprimée lui faisant part du mariage de son amant. Quels sentiments subits de jalousie, de déchirement, de haine ! Quelle tempête ravageante tout à coup déchaînée ! Le prudent Rabevel s’était abstenu de lui écrire ; depuis douze ans elle n’avait rien appris que la naissance du petit Jean et toujours par cette voie quasi-anonyme des lettres de faire-part. Son mari lui avait bien décrit vaguement Madame Rabevel, mais sans insister autrement ; elle avait cru comprendre que Bernard n’avait pas trouvé le bonheur et que sans doute il ne l’avait pas cherché ; et une préoccupation sournoise, un sentiment bizarre et confus demeurait en elle-même depuis qu’elle s’était crue définitivement libérée de l’empreinte de son amant. À cette heure, elle jugeait avec une espèce de terreur désespérée que Reine ne tenait dans le cœur de Bernard qu’une place minime et que le fauve conservait sa liberté, son intégrité redoutable de puissance et d’appétit. Et elle n’osait pas descendre au fond d’elle-même pour se consulter. Rabevel l’observait, la devinait : « Il faudrait, se disait-il, que je pûsse arriver à dissiper cette terreur méfiante… » Il cherchait… Il sut trouver.

Il sut arriver, de ces quelques jours passés à Paris et desquels le petit Olivier devait rapporter des souvenirs merveilleux, à faire pour Angèle le comble de la torture et de l’enchantement. Elle sortait parfois avec Reine, parfois avec son père, parfois avec lui, emmenant d’ailleurs toujours son fils qu’elle considérait presque superstitieusement