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LE MAL DES ARDENTS

venait d’accomplir ; il en trembla presque. Comment avait-il pu se donner à lui-même (et y croire ?) le prétexte d’une farce ? Mais Angèle entrait ; il ne songeait plus à rien ; il était là immobile et désormais passif, haletant d’il ne savait quelle espérance et quelles craintes. Son ancienne maîtresse était donc enfin tout près de lui, seule, ignorant sa présence. Elle tourna le commutateur, dit à mi-voix : « Suis-je sotte, il n’y a plus de courant, passé minuit ». Elle posa son bougeoir sur le marbre de la cheminée, resta quelques secondes à la fenêtre, puis s’assit toute pensive. Bernard lui trouvait l’air fatigué et dégoûté de toutes choses, une mine de Cassandre ; il en fut remué et la plaignit obscurément sans pouvoir démêler les motifs de sa pitié. Elle commença de se déshabiller lentement, l’esprit visiblement ailleurs : elle pliait avec soin ses vêtements, les déposait sur le dossier d’une chaise ; à un geste qu’elle fit, Bernard crut qu’elle allait venir au placard et trembla comme un enfant pris en faute. Il se sentait indiscret, coupable, extraordinairement intimidé ; au fond de lui-même il craignait d’être surpris dans sa retraite et de paraître ridicule et odieux. Cependant Angèle était maintenant en chemise et il devinait les formes de son corps à travers l’étoffe transparente. Elle alla vers la fenêtre et s’apercevant au passage dans la glace de l’armoire, se retourna après l’avoir dépassée, mit le bougeoir au-dessus de son visage qu’elle examina un instant ; Bernard apercevait son image, goûtait cette expression brusquement tendue et presque