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LE MAL DES ARDENTS

Ah ! non, très peu, une belle paire de mufles que ces Grands d’Espagne

Elle éclatait de dépit. « Allons, allons, ça ne va pas mal », se dit Bernard. Il s’excusa très gentiment et Ramon expliqua à mi-voix que son ami avait une maîtresse exigeante. La Farnésina fit des coquetteries : « On ne me la sacrifiera pas une pauvre petite fois ? »

— Qu’as-tu donc ? dit Ramon à voix basse. Tu ne vois pas qu’elle est folle de toi ?

Alors Bernard joua le grand jeu. Il feignit le coup de foudre, l’affolement. Il avait l’air de sacrifier son passé, ses projets, ses plus chères amours à la passion soudaine, baisa la main de la courtisane et relevant la tête lui offrit un visage si exalté qu’elle le repoussa dans l’ombre de la loge sans plus savoir ce qu’elle faisait et le baisa sur les deux joues à pleines lèvres comme un enfant : « Oh ! chérubin ! » s’exclama-t-elle « comme il me plaît ce gosse, il est adorable ».

Chez le directeur, au souper, qui, contrairement à la coutume, fut extrêmement gai, elle le voulut à ses côtés. Ils burent beaucoup de champagne ; à la fin du repas quand la réunion tourna à l’orgie, Bernard se dit vaguement : « Voilà le moment de tenter quelque chose ». Les hommes assez débraillés fouaillaient les femmes demi-nues qui poussaient des cris discordants. Certains couples s’étaient retirés dans un salon proche. Ramon et Lilian enlacés montraient l’œil terreux et la pâleur de la luxure.