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LE FINANCIER RABEVEL

La bestialité des attitudes, le désordre de la table, cet assemblage de reliefs de repas, de fruits écrasés, de fleurs fanées déjà, de vin répandu et de chairs, loin d’exciter ses appétits le gênaient. « Si nous partions ? » dit-il à sa voisine. Elle le regarda, un peu hagarde, puis se leva. Ils enjambèrent un couple ; comme ils quittaient la salle, Bernard entendit la voix enrouée de Ramon : « Voilà le marquis qui va s’offrir la plus jolie femme de Paris » et il vit frissonner devant lui les belles épaules de la Farnésina.

Le temps s’était refroidi ; le froid les saisit et les dégrisa. Dans la voiture qui les conduisait à la rue Marbeuf où habitait la courtisane, ils ne dirent pas une parole. Ni l’un ni l’autre n’avait aucun désir. La femme de chambre mal éveillée fut renvoyée d’un geste ; ils s’assirent l’un auprès de l’autre, gênés, glacés. Bernard se gourmandait intérieurement. Six heures sonnèrent. Enfin elle le prit dans ses bras, l’embrassa sur le cou et, tout d’un coup, il sentit ses larmes sur la peau.  Tous deux se dégoûtaient un peu, pris d’une vague tendresse et d’une immense lassitude. Hébétés, engourdis, ils sentaient passer les minutes ; ils distinguèrent vaguement le bruit d’une clé dans la serrure. Et ils ne reprirent pleinement conscience d’eux-mêmes qu’en entendant des imprécations furibondes et en voyant devant eux Mulot en costume de voyage, couvert de poussière, étranglé de fureur.

— Qu’est-ce que c’est que cette paire de cochons en tenue de soirée à sept heures du matin sur mon canapé,