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LE FINANCIER RABEVEL

Il claqua de la langue : Youp ! Les trois chevaux fringants, couverts de sonnailles, s’ébrouèrent.

— Youp, qué disi, millo dious !

Les chevaux secouèrent leur crinière, humèrent l’air frais, partirent d’un jarret nerveux. Ils hennissaient dans le matin. Ils semblaient jouir d’être si vifs, si alertes, la joie physique était leur passion. La route sèche, dure et blanche résonnait sous leur trot. Le cocher chantait à pleine gorge dans son patois.

Tout contre Bernard pelotonnée, Angèle ouvrait des yeux pâles sur ces Causses désolés. Le sol y était couvert d’une herbe maigre. Parfois apparaissaient de grands troupeaux. La silhouette des bergers variait sur la lividité de la terre. Les arêtes des croupes décharnées dessinaient l’ossature du pays avec vigueur.

— On dirait qu’il va nous montrer son squelette, tout à l’heure, remarqua Bernard.

Il n’en dit pas davantage. Ces troupeaux anonymes semblables à tous les troupeaux qui, dans le cours des âges trouvèrent une maigre et odorante nourriture dans ces pâturages, ces bergers à cagoule, ce sol chauve et ridé, ce silence infini où les grelots de l’attelage créaient une onde sonore aussitôt étouffée, tout donnait à ces lieux l’accent de l’impérissable, tout suscitait en lui l’idée de l’éternité. Que pesaient-ils ? Qu’était leur petite aventure ?

— Une seule chose est nécessaire, prononça Angèle avec accablement.