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LE FINANCIER RABEVEL

qu’ils s’en fussent aperçus ; Angèle remit à Bernard un chandelier de cuivre, alluma la bougie avec un brandon pris entre les chenêts. Il les salua tous trois, leur souhaita bonne nuit et monta dans sa tour. Et se dévêtit, passa sa robe de chambre. « Que fait donc encore Angèle en bas ? » se demanda-t-il. Il ouvrit la fenêtre. C’était décidément le printemps. Une ardeur amoureuse le calcinait : « Il faudra que je l’embrasse quand elle montera » se dit-il. La brise tiède le caressait. Il aperçut à la fenêtre de Mauléon la clarté de la bougie qui s’éteignit presque aussitôt : « Le brave homme se couche » pensa-t-il. Au-dessous de lui, une lumière se déplaça, remuant de grandes ombres : « Voilà la tante Rose qui rentre dans sa chambre ; elle a dû s’attarder à tout ranger avec Angèle. » Le désir le secoua : « Angèle va enfin monter. » Mais l’espagnolette grinça ; la tante ouvrait la fenêtre ; il l’entendit dire : « comme il fait doux !… » Puis il perçut un chuchotement ; il prêta l’oreille mais ne put rien saisir pendant un moment. Il comprit que sa maîtresse était encore là et qu’elles parlaient toutes deux à mi-voix ; sur ce ton affaibli les timbres se confondaient.  « Que disent-elles ? » se demandait-il très intrigué ; il écouta encore de toute son attention et enfin il distingua : « Reine du Ciel… Tour d’Ivoire… Arche d’Alliance… Maison d’Or… Priez pour nous… Priez pour nous… » Les deux voix se répondaient plongeant dans l’abîme de la divinité ; il releva la tête vers les étoiles silencieuses. Il ferma la fenêtre, éteignit la bougie et se mit au lit.