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LE MAL DES ARDENTS

Cependant Bernard s’assurait qu’il vivrait un jour dans un luxe pareil. Ah ! prudence, pourtant, prudence… Il pensait tout à coup à ce projet de mariage dont avait parlé Mulot. Son cœur fut terriblement pincé : sans hésitation il renonçait à Angèle, sans hésitation, non sans chagrin, mais cet amour, cette partie vive, certaine de son être et qui ne mourrait qu’avec lui, par quelle aberration avait-il pu croire qu’elle était plus importante que son ambition. « Il vaut mieux pour elle que je ne l’épouse pas, se dit-il, nous serions trop malheureux tous les deux, je ne pourrais pas vivre dans la médiocrité. Je la retrouverai bien ».

Le soir, il reprit Flavie, il n’avait plus de dieu à ménager. Le lendemain matin, à la gare, il trouva Abraham qui l’attendait avec François. Celui-ci était désespéré.

— Elle ne m’aime pas, tu avais raison : de la simple affection. Elle m’a avoué tout cela sans une larme. Je lui ai fait observer qu’elle se ruinait ; ça lui est égal, tout lui est égal. À mon avis, elle doit aimer quelqu’un d’autre. Il s’embarqua désespéré. Bernard se répétait : « elle m’aime vraiment pour se ruiner ainsi » ; il la plaignit un instant. Le regret le rongeait de l’abandonner ; mais enfin l’avenir avait ses exigences. Il annonça aux siens sa nouvelle situation, fit sa malle, embrassa tout le monde sans grande émotion et, le soir même, sans avoir écrit à la malheureuse un seul mot d’adieu, prit le train pour Clermont-Ferrand.