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LE MAL DES ARDENTS

il ne dit rien, haussant les épaules. Bernard, perplexe, baissait les yeux, mais, comme il les relevait à l’improviste, il surprit dans ceux d’Abraham une telle expression de finesse qu’il sentit, comme en un choc, que si le petit camarade n’avait rien dit c’était uniquement afin de ne pas le blesser par l’étalage d’une supériorité. Et, dans cet égard dont il n’aurait pas eu l’idée lui-même vis-à-vis d’un autre, il devina une ampleur telle, une puissance au regard de laquelle il se sentait si petit, que son humiliation fit remonter une boule amère dans sa gorge. Il serra sa langue entre ses dents pour ne pas crier.

Cependant le père Lazare annonçait qu’il remettait en liberté « ses jeunes étourneaux » et que la véritable classe commencerait le lendemain matin. Puis il fit ses dernières recommandations, donna tous les renseignements utiles pour l’achat des livres et descendit de sa chaire.

— Venez donc dîner avec nous, demanda Noë comme il le rejoignait. Cela fera plaisir à tout le monde.

— Je ne dis pas non, dit le régent, laisse moi le temps de devenir un peu plus « reluisant… »

Il avait prononcé le mot sans regarder Bernard ; mais celui-ci, bien qu’il eût entendu, ne rougit point. Seul, un mouvement de la mâchoire et qui décelait de la colère et non de la confusion, fit trembler légèrement sa joue.

Le père Lazare prit l’escalier ; l’enfant s’assit au pupitre qui lui était destiné et, avec beaucoup d’attention, l’examina de tous côtés ; puis il l’ouvrit, fit, à plusieurs reprises,