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LA JEUNESSE DE RABEVEL

jouer les gonds ; s’étant aperçu tout-à-coup qu’il manquait une vis à l’une des charnières, il se mit en devoir d’en retirer une du pupitre voisin. Mais à peine l’eût-il retirée qu’il s’arrêta comme interdit. Il fit la moue, eut un imperceptible mouvement d’impatience contre lui-même comme s’il déplorait sa propre sottise et remit la vis qu’il venait d’enlever ; puis, ayant avisé à quelques tables plus loin un autre pupitre, il mena cette fois son opération jusqu’au bout.

Noë qui, feignant de lire un journal, avait suivi son manège se demandait s’il devait admirer l’attention, la précision, la minutie et l’adresse de l’enfant, s’étonner de sa rare prudence ou essayer d’inculquer une idée de scrupule à une nature qui témoignait d’une parfaite et si calme absence de sens moral. Il l’appela, mais Bernard sembla ne pas entendre. « Il me boude, se dit le jeune homme, parce qu’il a reçu de moi cette première gifle » ; et il se sentit attendri ; ce serait la dernière, bien sûr ; comment un tel mouvement d’humeur avait-il pu lui échapper ? Il voulut faire la paix avec le petit sauvage ; il l’appela de nouveau ; mais l’enfant, levant enfin la tête et le regardant fixement, lui montra de tels yeux, et si chargés de haine, qu’il redouta l’avenir.

Le maître d’école descendait à ce moment. Ils sortirent tous trois.

— Voilà le temps qui s’est remis au beau, dit le père Lazare. Il est cinq heures et ton après-midi est perdue