Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome I (1923, NRF).djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
LE MAL DES ARDENTS

mit à table. Et soudain le vieillard rougissant comme un enfant s’écria :

— Et moi qui ne suis pas rasé, maître Lazare ! Aujourd’hui justement que vous êtes là ; c’est un coup du sort. Donnez-moi cinq minutes.

Lazare le regardait, propre, net, ce visage mince, aux rides spirituelles, aux yeux noirs. Il retrouvait le même nez droit, la bouche rieuse et bonne dans les enfants. Chez Rodolphe on voyait toutefois l’air de ruse malicieuse du père qui ne se rencontrait pas sur la figure de Noë plus souvent mélancolique comme celle de sa mère. Tous deux, d’ailleurs, offraient le type du parfait compagnon français tel que la tradition et les chants d’atelier le maintiennent dans une élite depuis le Moyen-Âge.

Le père Jérôme, un plat à barbe sous le menton, se savonnait avec les doigts à l’ancienne mode. Puis, sans miroir, en un tournemain il fut rasé.

— Qui veut l’étrenne ? dit-il plaisamment.

Bernard s’était levé d’un bond et lui avait sauté au cou, plaquant sur ses joues deux baisers retentissants :

— Ah ! ah ! fit le grand-père radieux, qui dit qu’il n’est pas affectueux ce gamin ? Je prétends qu’il a du cœur, moi ; seulement il ne le trouve que quand le corps et l’esprit sont satisfaits ; et ils ne le sont pas facilement ; car il est exigeant, le gaillard !

— Le bonhomme a trouvé le mot, dit Noë en se penchant vers le maître.