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LE MAL DES ARDENTS

d’entre eux, pour y préparer ensemble leurs leçons. Ils se piquaient fort d’émulation, mais chacun avait ses faiblesses ; Abraham, d’une intuition prodigieuse en calcul, se montrait assez piteux en devoir français ; au contraire François y excellait et ne mordait guère à l’arithmétique. Bernard, attentif aux trucs et aux ficelles, la mémoire extraordinairement fidèle, s’enrichissait des acquisitions mêmes de ses voisins ; studieux, régulier, toujours propre et précis jusqu’à la minutie, jamais en faute, il gardait, inamovible, la première place, tandis que ses amis se disputaient la deuxième. Le jeudi, ils sortaient souvent ensemble et se livraient à des causeries ou à des jeux interminables dans les squares et les jardins. Leurs rapports n’allaient point sans dispute et, au début, les orages furent parfois suivis de coups. Mais, bien que Bernard fut robuste, François, autrement fort, lui avait infligé de telles corrections que, la rage au cœur, le petit Rabevel ne cherchait plus les batailles. Encore qu’il ne fut pas querelleur, François goûtait à se battre une véritable ivresse et il triomphait sans ménagement ; aussi les rires de leurs camarades, plus humiliants pour Bernard que sa défaite elle-même, le corrigèrent-ils promptement. Quant à Abraham, l’instinct qu’il devait à des milliers d’années d’oppression et de persécution lui avait toujours épargné toute bataille. Le petit Rabevel ne fut pas sans le remarquer. Sans que ses forces intérieures et ses aspirations fussent en rien modifiées, il s’accrut en prudence, en ruse, et il faut bien le