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LE MAL DES ARDENTS

ton détaché ; et, le lendemain, il ne lui adressa pas la parole, résolument boudeur. La pauvre Eugénie que les soins donnés par elle au malade pendant ces quelques mois avait attachée à lui plus que les années de vie familiale passées côte à côte, se sentit immédiatement vaincue. Mais comment Noë si rigide sur les principes, les idées de justice et la question de l’honneur, allait-il la recevoir ? Pas une seconde, elle ne pensa, à s’ouvrir de son embarras à son mari ; elle savait que Rodolphe lui demanderait tout uniment de quoi elle se mêlait et si elle ne ferait pas mieux de laisser « ce brigand apprendre un métier comme les camarades, ce qui le dresserait ». À vrai dire, elle s’attendait un peu à une réponse à peu près pareille de Noë, sinon dans les considérants, du moins dans la conclusion ; mais Bernard semblait fonder un espoir sur son oncle qu’il prétendait connaître mieux que tous. Elle en vint à se demander si, au fond, il n’avait pas raison ; observateur, l’enfant l’était à l’extrême, certes ; précoce, aussi ; et de plus, il était né dans cette atmosphère d’idéologie et de discussions auxquelles elle ne comprenait rien, mais dont, lui, avait peu à peu saisi entièrement le sens et parfaitement tiré les conclusions propres à sa conduite. Qui sait si, par un détour ignoré, Noë n’allait pas en effet trouver plausibles les arguments de son neveu ? Mais alors pourquoi Bernard ne les présentait-il pas lui-même, car elle savait bien que ni la crainte ni le respect ne l’arrêtaient ? Ici, elle se prit à rire : son intuition de femme perçait tout de suite en leur